Regarder Soda Mama Fall, c’est s’envelopper du poème : « Femme nue, femme noire » de Léopold Sédar Senghor. Et ce serait une tautologie que de dire que cette grande diva de la chanson traditionnelle sénégalaise est belle. Une beauté vespérale qui affronte encore les rigueurs du temps et continue d’être la référence de certaines Sénégalaises qui n’ont pas le « mal de peau ».
De Soda Mama Fall, on peut dire que c’est une femme sans âge ou qu’elle a l’âge de toutes les femmes. Elle est de ces beautés qui inspirent respect et stimulent les poètes chantres de la femme Noire dans toute sa grâce. Une femme dans toute sa simplicité et qui abhorre tout ce qui est clinquant, se parant de boucles d’oreilles à quatre sous sans pour autant que sa beauté n’en pâtisse ou d’un boubou à 500 francs le mère sans que sa grâce ne dérape. En plus de ces atours, elle est aussi d’une élégance de coquette. Tout cela est à l’image de sa voix qui nous secoue jusque dans notre tréfonds, tellement elle est belle et sublime.
A l’époque où les femmes s’éclaircissaient le corps pour avoir un autre teint, elle, avec une autre grande dame de la chanson sénégalaise, Khar Mbaye Madiaga pour ne pas la nommer, avait su résister en gardant la beauté de sa peau noire. Voici d’ailleurs ce qu’elle dit à propos du « xessal » : « J’en ai entendu parler pour la première fois en 1985. A la suite d’une tournée en Côte d’Ivoire, toutes les chanteuses en ont acheté sauf Khar Mbaye. Elle m’a dit que si jamais on épuisait nos stocks, on n’aurait plus les moyens de revenir en Côte d’Ivoire pour nous réapprovisionner ». Une bonne excuse pour se passer de ce produit éclaircissant qui a rendu méconnaissables une bonne partie de ses collègues du théâtre national Daniel Sorano. Elle, Soda Mama, elle tient à sa peau noire dont elle est plus que fière. Mieux, elle dit se sentir bien comme elle est, et a toujours été.
Cette grande dame de la musique traditionnelle sénégalaise appartient à une grande lignée de griots originaires de Diadie Soughère et Moul. Wolof, elle n’en reste pas moins fière d’être de la lignée des Sine – Sine, autrement dit de l’ethnie Sèrère de par sa grand-mère qui est originaire de cette contrée. En même temps, elle manifeste sa fierté d’être de la caste des griots qui fonde toute son existence. « Si je n’en faisais pas partie, je ne sais vraiment pas ce que je serais devenue », dit-elle le cœur en flamme dans une interview. Cela dit, le fait d’être griotte ne lui a fait jamais perdre le sens de la dignité. Elle reste une femme respectée et respectable.
Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est par la danse que cette femme qui a vu le jour à Diourbel, où elle est juste née, et qui a passé toute son enfance entre la Médina et Usine Niary Tally, à Dakar, s’est introduite dans le monde des arts. « J’étais une très bonne danseuse. Les femmes venaient demander la permission à ma grande sœur pour qu’elle m’autorisât à participer aux séances de sabar », se souvient-elle. Ce n’est que beaucoup plus tard que ses aptitudes pour la chanson se révéleront, attirant l’attention des puristes. Elle se produit à l’émission « Pencum Sénégal », qui cartonnait alors sur les ondes de Radio Sénégal aux côtés d’une certaine Khar Mbaye Madiaga et d’une grande cantatrice du nom de Fambaye Issa Diop. L’émission était animée par feu El Hadji Mada Penda Seck. Soda Mama Fall se vit ouvrir grandement les portes de Sorano par l’entremise du regretté Edje Diop, un découvreur de bonnes graines qui la présenta à Maurice Sonar Senghor qui dirigeait alors ce temple de la culture. Cela fait plus de quarante ans que Soda Mama Fall éblouit les Sénégalais par son charme et la beauté de sa voix, la troupe de Sorano étant par excellence un creuset où le laudatif est interdit. Ce qui donne du poids aux chansons de Soda Mama Fall, laquelle nous transperce le cœur pour parler des hauts faits de nos résistants. Hors de Sorano, elle a chanté la vie, la discrétion qui constitue la marque légendaire des grands hommes, tout autant que la noblesse des hommes de Dieu qui vivent au Sénégal à l’image du regretté Serigne Mbacké Sokhna Lô qui fut pour elle, un marabout, un confident et un ami qui l’a soutenue comme personne ne l’a fait. Soda Mama Fall, c’est aussi une dame pour qui ses collègues de Sorano restent des parents avant d’être des partenaires de scène. A la question de savoir si elle compte des amis dans ce creuset culturel, elle dit en toute sincérité qu’elle n’a pas d’amies parmi les cantatrices, mais des parents et des compagnes de scène. « Je n’ai pas d’amies parmi elles parce que je suis très entière et je ne triche jamais. J’ai une amie mais elle évolue dans un autre milieu ». Une attitude qui fait d’elle le chouchou de ses petites et grandes sœurs de Sorano. Entière et disponible tout en gardant sa fierté, elle avoue ne jamais aller dans les manifestations où elle n’est pas invitée. Sa dignité risquerait d’en souffrir. Oui, Soda est une femme digne dans toute sa touchante simplicité qui avoue avec sérieux n’être pas belle, mais peut aller où elle veut sans s’occuper ni avoir la complexe de celles qui prétendent l’être. Une femme entière, on vous dit ! Et personne ne peut douter de sa sincérité. En ce mois de Ramadan, elle fait découvrir dans une chaine de télévision de la place, les vieilles figures de la musique sénégalaise. Toute une histoire !
ALASSANE SECK GUEYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1173 » –Hebdomadaire Sénégalais ( Juillet 2014)