Privé de concert faute de visas pour son groupe, le chanteur Cheikh LÔ n’a qu’un bel album pour se faire entendre.

par | 8 novembre 2010 | Chroniques

On pensait que les refus de visas aux musiciens africains appartenaient au passé. L’annulation du concert de Cheikh Lo prévu ce soir à Paris montre qu’il n’en est rien. Faute d’avoir fourni à temps un extrait de casier judiciaire, plusieurs artistes se sont vu refuser le permis d’entrée.

Muni pour sa part d’un passeport Schengen dûment tamponné, Cheikh (prononcer «chek» et non «chèr», c’est lui qui précise) Lo était il y a peu à Paris pour présenter son nouveau disque, Jamm. Habillé comme il se doit d’un habit fait de pièces de tissu cousues ensemble : c’est ainsi que les membres de la confrérie musulmane Baye Fall, à laquelle il appartient, montrent leur détachement des biens matériels. Ce qui n’empêche pas ces vêtements d’Arlequin d’être de magnifiques créations.
«Pick-up». Jamm, publié l’année des 40 ans d’indépendance de plusieurs pays d’Afrique, porte haut le drapeau du panafricanisme artistique : au mbalax sénégalais se marient les rythmes de la rumba des deux Congos et les airs de ce morceau d’Afrique qu’est Cuba. De Guinée provient On verra ça, perle du répertoire du groupe Bembeya Jazz (l’original s’intitulait Doni Doni). Le Sénégalais y ajoute des paroles de son cru : «Mes copains ont des voitures/ Y’en a d’autres à l’aventure/ oh mais moi je suis là pour servir mon pays.»

Cheikh Lo est un Sénégalais cosmopolite, né en 1955 et élevé à Bobo-Dioulasso, dans l’ancienne Haute-Volta, de parents sénégalais qui tenaient boutique. Son enfance est baignée par la musique. «Mon frère avait un pick-up, ce qui n’était pas très courant à l’époque. Nous écoutions inlassablement de la soul américaine et de la musique cubaine : d’un côté James Brown, de l’autre Orquesta Aragón.» Devenu musicien à Dakar, il part tenter sa chance à Paris. Coup de chance : dans le studio où il répète, il est repéré par Papa Wemba qui cherche d’urgence un batteur. Et le voilà sur scène avec une des idoles du soukous zaïrois, performance que lui, avec le recul, relativise : «Jouer du soukous, franchement, ce n’est pas très difficile.»

Mentor. Après quelques rudes hivers, il décide de rentrer au pays pour développer sa carrière de chanteur. Ses premières cassettes attirent l’attention générale et Youssou N’Dour en personne décide de produire en 1996 son premier disque, Ne la Thiass, devenu un classique de la musique africaine. Aujourd’hui, les ponts sont rompus et Cheikh Lo ironise sur les ambitions présidentielles qu’on prête à son ancien mentor : «Quelles études a-t-il faites pour prétendre devenir président ? Que connaît-il à la finance ? A l’administration ? Il mène une vie de pacha, très bien pour lui, mais de là à vouloir diriger le pays…»

Dans Jamm, beau voyage sans stridences, à la sérénité apaisante, le Burkina Faso, son pays natal, est présent à plus d’un titre. Avec un hommage à Thomas Sankara, président assassiné, et une reprise d’Amadou Ballaké. S’il y est retourné plusieurs fois, il n’y a jamais chanté, ce qui devrait se faire dans les mois qui viennent. «Le meilleur groupe de Bobo-Dioulasso s’appelait Volta Jazz, se souvient Cheikh Lo. A 15 ans, je me rendais utile auprès des musiciens, je faisais le thé, et j’ai fini par en faire partie.» Nul disque ne témoigne de cette époque, déplore le chanteur, «pourtant, nous avions d’excellents morceaux». Un patrimoine perdu à jamais ? «Pas du tout. J’ai tout dans la tête : musiques, paroles, arrangements… Je n’exclus pas de réunir le groupe un jour pour enregistrer tout ça.»

Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ

Article Source : liberation.f

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