Rendez-vous festifs incontournables à l’heure où la musique se vit davantage « en live » que dans les bacs, les festivals suscitent toujours l’engouement depuis leur émergence dans les années post-soixantardes. Après avoir stagné, le nombre de festivaliers est en hausse, passant de 2 024 800 à 2 191 000 entre 2013 et 2014(1).
Les artistes africains ont-ils une place légitime dans ce paysage ? Comment s’articulent leur présence avec les enjeux économiques et culturels qui dessinent les programmations ? Dans ce dossier déployé jusqu’en juin prochain, Africultures explore cet univers à l’aune de ses dynamiques et de ses évolutions. Dans ce premier épisode, nous nous penchons sur la question en faisant un tour d’horizon des artistes africains programmés cet été dans l’hexagone.
Les festivals ont le vent en poupe. Pour autant il semble que les artistes africains ne séduisent pas assez pour y être programmé. Ainsi, les têtes d’affiches africaines sont plus timides d’une année à l’autre et les artistes présentés sur la scène estivale le sont trop souvent dans le cadre de tendances supposées séduire les publics et rassurer les programmateurs.
Allons voir tout d’abord du côté des mastodontes du festival français. Pour ces grands festivals à la programmation éclectique, bien que plutôt orientée « pop-rock », Tinariwen assure sans audace la caution « world ». En pleine tournée pour présenter Emmaar, enregistré aux États-Unis, les bluesmen du désert sont programmés aux Vieilles Charrues (Carhaix), à Rock en Seine (Paris) et à Musilac (Aix-les-bains). Si ces touaregs ont su s’imposer sur la scène mondiale et générer un tel engouement, c’est notamment que leur musique séduit par ses charmes mystiques, nimbée par l’imaginaire du désert. Une musique dont l’authenticité est d’autant plus appréciée qu’elle se mêle à un rock mythique, ici revisité mais dont les codes sont chers et familiers à l’occident. L’engagement politique du groupe, appelant un certain exotisme de la rébellion touareg, ajoute au charme. A leur image, le jeune groupe de blues sahélien Tamikrest , programmé à Musiques Métisses (Angoulême), évoque cette négociation entre tradition, mystique touareg et rock occidental. Une recette du métissage qui réussit à l’affiche des festivals, et permet d’asseoir une renommée déjà acquise ou en voie pour ces groupes.
L’Afrique en focus
Parmi les festivals davantage orientés « musiques du monde » (2)i apparaissent quelques artistes déjà installés sur la scène française. On y retrouve par exemple Rokia Traoré , programmée au festival francilien L’Afrique dans tous les sens aux côtés d’ Habib Koité . Mamani Keita sera cette année à Fiest’a Sète, à l’occasion de son dernier album acoustique Kanou. Fatoumata Diawara chantera à Fiest’a Sète et à Africajarc. Les artistes maliens donneront résolument la saveur africaine aux festivals cet été. Ainsi L’Afrique dans tous les sens met le Mali à l’honneur de sa programmation, quand le Festival du Bout du monde invite Les Ambassadeurs, avec entre autres Amadou, d’ Amadou et Mariam , et Cheick Tidiane Seck . Crozon célèbre aussi le pays avec Electro Bamako , collaboration entre Paul Sidibé et les Français Damien Traini et Marc Minelli, lequel a d’ailleurs travaillé avec Mamani Keita et Amadou et Mariam. La musique malienne semble séduire davantage les affiches lorsque traditionnel se fond en transe avec rock, blues ou electro, ou autrement dit par le Festival du bout du monde, dans sa présentation, quand « se mélangent sons de la grande ville et sonorités ancestrales de la terre africaine ». On peut s’interroger sur un certain fantasme construit ainsi autour de ces rencontres, en même temps que sur cette surreprésentation d’un Mali dans la tourmente politique. Les festivals ont toujours aimé programmer des artistes du continent dans le cadre de focus qui font écho à une actualité politique ou sociale, comme ce fut beaucoup le cas pour l’Afrique du Sud. Les enjeux financiers y sont pour quelque chose sûrement puisque l’économie des festivals repose notamment sur les subventions institutionnelles, là ou culture et politique se mêlent. Même logique peut-être avec Staff Benda Bilili , programmé aux plus petits festivals Terres de Son à Monts, aux Nuits Atypiques de Langon et aux Foins de la rue (53). Sans actualité musicale brûlante, après une crise interne et une reformulation, l’aura du groupe n’est-elle pas maintenue autour d’une ressource de l’ordre héroïque à pouvoir créer ensemble malgré le handicap ?
Une autre focale cette année sera l’Afrique du Sud. Ainsi, le militant Solidays, médaille d’argent du festival le plus populaire en 2013, affiche son édition 2014 en hommage à Mandela. Pour autant, aucun artiste d’Afrique du Sud n’y est encore programmé. Le festival des Suds à Arles consacre aussi une soirée au pays en affichant Johnny Clegg et les Mahotella Queens , légendes de la musique sud-africaine anti-apartheid. Le choix est ici fait d’aller chercher les pointures, ceux que le public identifie facilement parce qu’ils ont tourné mondialement pour la cause, plutôt que de puiser dans les nouveaux sons d’Afrique du Sud. Les festivals ont longtemps été ces lieux où se déclinent par le culturel des tendances d’ordre humanitaire ou caritatif. Si cette logique semble en perte de vitesse depuis quelques années, et que dans le même mouvement, les têtes d’affiches africaines sont plus discrètes, faut-il comprendre que l’Afrique doit souffrir de maux pour qu’on puisse parler de ses artistes ? La plupart des grands festivals sont nés de l’initiative de passionnés, génération qui entretenait avec la scène africaine une relation quasi-organique, eux qui jouaient presque leurs destins personnels dans l’aventure. Christian Moussais, fondateur du festival Musique Métisses d’Angoulême est de ceux-là. Fondé en 1976, ce fut le premier festival avec Africa Fête (crée en 1978 par Mamadou Konté à Marseille), à chercher les sons d’Afrique et soutenir les artistes sur la scène française. Aujourd’hui, les financements diminuent et ne sont plus fléchés vers cette niche, alors ce même festival se retrouve coincé dans la loi de la tête d’affiche, annonçant une programmation sans risques. Les affiches des festivals reflètent ainsi sûrement moins le dynamisme d’une production artistique contemporaine africaine que des tendances d’ordre commerciales et politiques. Le curseur s’arrête sur les publics, moins sur les artistes.
Exister par la scène des festivals
Apparaissent toutefois dans la programmation estivale ceux dont les festivals permettent de se faire un nom sur la scène française. Debademba est un groupe de la diaspora africaine de Paris très en vogue cette année, puisqu’on le retrouve à Musiques Métisses, Fiest’a Sète, Africajarc et Paris Jazz Festival. Abdoulaye Traoré et Mohamed Diaby ont longtemps joué dans les quartiers populaires de Paris avant de faire parler d’eux. Avec leur deuxième album Souleymane, pas surprenant qu’ils soient les chouchous des festivals, dignes représentants qu’ils sont du souffle de la musique épicée ouest-africaine à Paris, entre afro-beat, mandingue, blues et rock. Le festival est leur tremplin. Ayo , qui vient de sortir son album Ticket to the world, est une artiste peu vue en France en ce moment, que l’on retrouve pourtant cette année à l’affiche de Musiques Métisses, du festival du bout du monde à Crozon, et à Terres de Son. Car depuis le succès de son premier album Joyful, et des concerts triomphants au Casino de Paris et à l’Olympia en 2006, c’est essentiellement sur la scène des festivals qu’Ayo chante. Mais, née en Allemagne d’un père nigérien et d’une mère roumaine, vivant entre Paris et New York, la jeune femme est bien une artiste d’ici, programmée dans les festivals d’ici. Apparait ici toute l’ambigüité de jouer sur les identités et la part d’héritage africain pour satisfaire au métissage contenu dans le genre « musique du monde ». Programmée à Fiest’a Sète, on découvre aussi Esther Rada, jeune israélo-éthiopienne méconnue en France où elle a pourtant donné son tout premier concert au Comedy Club. Programmée récemment à Banlieues Bleues , Ester présente un premier album brassant soul, ethio-jazz, reggae, pop et afro-beat. Si ses racines et ses inspirations musicales sont largement éthiopiennes, la jeune femme s’exprime sur la scène israélienne, dans un pays où ses parents se sont installés un an avant sa naissance. Autre exemple d’une artiste métissée qui peut insuffler un certain charme afro à l’affiche des festivals. Enfin, le groupe Mamar Kassey représente le Niger à Crozon, Musiques Métisses, Africa fête à Marseille et à Landerneau. Yacouba Moumouni, flutiste virtuose, véritable star au Niger, mène cette formation rassemblant traditions musicales du Mali, du Niger et du Burkina Faso depuis 1995. L’accueil du nouvel album de ce groupe talentueux est d’autant plus chaleureux dans les festivals qu’il a été réalisé à Niamey, dans un contexte politique difficile et que l’engagement de ces artistes, le message de paix qu’ils adressent, assoie d’une certaine manière leur légitimité.
(1)Enquête de Télérama, « Infographie : bilan des festivals d’été 2013 ».
(2)A la fin des années 1980, émerge ce label des « musiques du monde », qui va influencer la programmation de festivals tournés vers les sons d’Afrique (le festival Musiques Métisses Angoulême et Africa Fête à Marseille notamment). Mais à partir des années 2000, le tournant de la musique pop fait s’effacer progressivement les frontières entre ce qu’on appelle « musiques du monde » et ce qui seraient les « musiques actuelles ».
(3)Cette question sera plus largement abordée par la suite dans le cadre de cette série.
Source : Africultures