Guélaye Aly Fall, le chantre du « Pékaan », sera célébré au Grand Théâtre le 19 avril prochain durant toute une journée à travers une exposition, une conférence sur l’œuvre de ce monument de la communauté Hal Pulaar et, pour terminer, une soirée musicale. « Le Témoin » s’est intéressé à quelques travaux dédiés à ce grand poète et au « Pékaan », cet air musical propre aux « Thioubalos », c’est-à-dire aux pêcheurs du Fouta. En effet, même si on ne comprend pas le « Pulaar », personne ne peut résister à cette poésie sublime qu’est le « Pékaan », un genre rendu célèbre par Guélaye Aly Fall.
Son nom revient sans cesse dans le corpus littéraire et musical de la communauté Halpulaar. Aucun membre de cette communauté, connue pour son attachement viscéral à sa culture, ne peut nier son apport culturel ou avoir subi l’influence de ce poète et conteur au long cours. En effet, Guélaye Aly Fall est chez les Halpulaar ce que Ndiaga Mbaye pourrait être chez les Wolofs de par ses sentences lumineuses mais aussi par sa poésie musicale qui tourne autour du fleuve et des animaux qui y vivent ainsi que de la pêche. Si Ndiaga Mbaye, maître de la parole, est connu de tout le Sénégal, voire de la sous-région, Guélaye, lui, reste l’unique conservateur de la communauté Halpulaar et de ceux qui se laissent bercer, sans pour autant comprendre cette belle langue, par les rythmes de ces berceuses. Ce n’est pas étonnant du reste si des intellectuels lui ont consacré des études, d’autres leurs mémoires ou thèses universitaires à l’instar de celle de Oumar Ndiaye qui constitue l’épine dorsale de cet article. De son vrai nom Aly Djeinel ou Aly Hadamine Guélaye, cet homme qui serait plus que centenaire s’il était encore de ce monde, a vu le jour au début du siècle dernier, en 1898 plus précisément, avant d’être rappelé à Dieu en 1971 des suites d’une courte maladie. Et ce même si d’autres situent sa naissance en 1900. Musulman de la confrérie des Tidianes, ce Pulaar issu de la caste des « Subalbé » fut également un muezzin de par la splendeur de sa voix et a eu une vie bien remplie, culturellement, certes, mais aussi en croquant celle-là à belle dents pour avoir épousé sept femmes. Parmi ces sept femmes, quatre sont de Aram, une de Wandé, une de Kénéné et la dernière de Thiaski. De ces unions sont nés quatre enfants. De la caste des pêcheurs, Guélaye fut en réalité plus un berger qu’un homme du fleuve. C’est dans cet univers pastoral qu’il va se révéler à ses contemporains par sa bonne maîtrise de la poésie. Fils du village de Aram, situé sur la rive du fleuve Sénégal, il commence d’abord à jouer du « moolo », une sorte de guitare à une seule corde.
Maître dépositaire du « Pékaan », le clan Dièye a souffert de l’audace et du talent de cet étranger venu jouer les trouble-fêtes. Son arme à lui, c’était sa belle voix qui faisait référence dans le Fouta en plus de ses talents oratoires de poète. On vivait et respirait le « Pékaan » par lui et personne d’autre ne pouvait lui porter la concurrence. Voyant le monopole du « Pékaan » leur échapper, les Dièye proposèrent le rachat de « Pékaan », ce qui fut chose faite quelque temps après ce différend. Et pour marquer cet instant solennel, qui va sortir ce genre poétique de « la main- mise familiale vers la lumière du jour universelle » et le mettre à la disposition du patrimoine mondial, les « subalbé » du Fouta décidèrent de marquer les esprits en organisant une soirée « Pékaan » symbolique à Demba Kara. C’était dans le but d’introniser ce jeune homme à la voix pure et mélodieuse et qui demeure aujourd’hui encore une référence dans sa communauté et au-delà. Cette soirée fut un moment fort et un tournant historique pour la poésie « Pékaan ». En effet, lors de cette soirée de nombreux dignitaires « subalbé » ont initié ce jeune homme qui empruntera le nom de scène Guélaye qui le rendit célèbre tout en le maintenant dans postérité. Et pour populariser le « Pékaan », il parcourut le Fouta en entier du Sud au Nord et de l’Est à l’Ouest pour parfaire son initiation aux rites de cette poésie. Ce qui fait que, d’après Oumar Ndiaye, on perçoit cette qualité de description imagée des lieux du Fouta dans les diatribes « pekaneennes » de Guélaye. Connu pour son art unique dans sa communauté, son couronnement comme maître incontesté du « pékaan » eut lieu à Djéol auprès d’un certain Dikal Ndiaye, lui-même ancien compagnon du célèbre maître des eaux Abdoul Dicko Dia. Et c’est de cette partie du Fouta qu’il entama un périple pour la promotion de « Pékaan » à travers toute la contrée, pour finalement le hisser au sommet de la gloire. Un art qui restera ce qu’il est et qui sert de bréviaire à beaucoup de chanteurs Halpulaar, tous connus pour leur ancrage dans les valeurs et rythmes de leur terroir. Bercés par cet art centenaire, des intellectuels en ont fait des sujets de thèses pour les mettre entre les mains de ceux qui ne comprennent pas le Pulaar, une langue dont la profondeur poétique est universelle. Pour en revenir à Guélaye, selon toujours Oumar Ndiaye, il fit du « Pékaan », qui était autrefois un monopole familial, une poésie phare qui appartiendra au patrimoine culturel peul. Ce qui fait que sa disparition dans les années 1970 laissa tout le Fouta orphelin de ce grand homme à la voix majestueuse « capable de percer le silence des eaux, d’arpenter les vents de montagnes, d’émerveiller le décor des nuits et de toucher à la sensibilité poétique de chaque fuutanké », écrit Oumar Ndiaye. D’ailleurs, le texte de ce dernier est reproduit dans le document de présentation de la journée d’hommage à Guélaye Aly Fall qui aura lieu le 19 avril prochain. Ce chantre du « Pékaan » a disparu aux alentours de son village natal « Aram », sous l’ombre d’un arbre mythique. Est-ce la force du destin, que seul un arbre soit le dernier témoin de ses ultimes instants de vie, lui qui fut jadis un petit berger admiré par ses pairs ainsi qu’un grand poète de la nature et un prophète de la poésie « pékaan » peul ?, s’interroge encore Oumar Ndiaye. Une chose est sûre : cet art qui a des similitudes avec le slam demeure toujours authentique et continue de bercer ceux pour qui la musique est rythme et poésie.
ALASSANE SECK GUEYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1157 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)