La danse dite « Bombass », une idée de la « citadinité subalterne »

par | 28 octobre 2014 | Webnews

Le « Bombass », la nouvelle danse lascive décriée par des vois soucieuses de la préservation de la morale et des bonnes mœurs, peut légitiment relever de la « citadinité subalterne », selon une formule dédiée à l’analyse des mutations de la société sénégalaise par l’anthropologue et chercheur Thomas Fouquet.

« Danse sénégalaise : art ou perversion ? », s’interrogeait récemment le journal Le Témoin quotidien, évoquant toutes ces danses sénégalaises qui s’inventent généralement avec l’été, contribuant à colorier les vacances ou à entretenir le rythme de vie des jet-setters.

Après « Rimbakh Papakh », « Songuema », « Moulaay Thieuguine » ou « Tiakagoune », voici venu la mode du « Bombass », une trouvaille qui viendrait de la Jamaïque et dont la connotation sexuelle a le don d’irriter plus d’un bien-pensant.

Dans une étude ethnographique explorant des aspects de « la citadinité subalterne », un domaine dans lequel peut valablement se ranger le « Bombass », Thomas Fouquet évoque « des façons de faire avec la ville, mais aussi de la faire, c’est-à-dire participer à ses fabrications et réinventions permanentes, y compris à travers l’élaboration d’un désordre constitutif de nouvelles configurations sociales et culturelles ».

« Les jeunes femmes rencontrées abordent l’univers noctambule dakarois à la fois comme un terrain de prédation, une scène où elles jouent leurs aspirations à une +autre histoire+ et un terrain de contestation +glocal+ permettant de se décaler de certaines places et rôles sociaux », écrit le chercheur dans cette étude intitulée « Les aventurières de la nuit dakaroise. Esquisses d’un art de la citadinité moderne ».

Ce texte figure dans l’ouvrage collectif codirigé par Mamadou Diouf et Rosalind Fredericks. Il a été publié (2013) aux éditions Khartala sous le titre « Les arts de la citoyenneté au Sénégal. Espaces contestés et civilités urbaines ».

Le propos de l’auteur fait notamment référence à ces jeunes femmes se produisant dans les bars et boites de nuit de Dakar, dans lesquels « elles négocient diverses formes d’+échanges économico-sexuels+, principalement auprès de partenaires occidentaux ».

Elles y mettent « en scène leurs désirs d’ailleurs » et « arpentent les bars et boites de nuit de Dakar en quête de dépaysement, de bons coups et de bonnes fortunes », dans un élan où ‘’la recherche d’esthétique personnelle est mise au service d’un objectif d’invention de soi comme, à nouveau, quelqu’un qui a quelque chose ».

« Loin de s’épuiser dans l’appât du gain, l’aventure noctambule constitue, à nouveau, un support narratif rendant possibles des récits de soi décalés et une forme de dépaysement », écrit le chercheur, selon qui « les milieux noctambules dakarois constituent des +scènes+ ethnographiques extrêmement fécondes ».

« L’art du décalage social et culturel que les jeunes femmes y déploient contient intrinsèquement une dimension critique : aller vers et aspirer à une +autre histoire+ et aussi une manière de s’émanciper ou de s’éloigner de, et porte ainsi en germes une mise à distance critique de rôles et places dont on souhaite se démarquer », analyse Thomas Fouquet.

Il explique que « l’aventure citadine consiste en une manière de reconfigurer sa localisation sociale, en jouant avec les codes sociaux et culturels et en utilisant la prédation non seulement comme un moyen d’accéder à des ressources matérielles, mais aussi comme une esthétique ». Une perspective incitant « à penser la ville comme un terreau de créativité, de pluralité et de syncrétisme social et culturel ».

L’aventure citadine, reprend de nouveau l’anthropologue, permet « d’appréhender la dimension ouverte, mouvante de la société sénégalaise contemporaine, sans réduire ou superposer un tel questionnement à celui des migrations ».

Tel que construit par les jeunes femmes enquêtées, le Dakar by night « peut être envisagé comme un ailleurs social, ou une +hétérotopie+ au sens proposé par (le philosophe français) Michel Foucault, analyse-t-il. Leurs manières de l’investir et de s’y produire leur permettent en effet de +juxtaposer en un lieu plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles ».

« Les narrations alternatives de la modernité qui se dévoilent ainsi permettent d’accéder à une perception plus épaisse et chamarrée de l’univers urbain, à condition toutefois de suivre les cheminements traversiers des récits de soi – ces sentiers qui jalonnent le Dakar invisible, région morale sans cesse inventée et reconfigurée », observe l’auteur.

« Les arts de la citadinité subalterne témoignent ainsi d’un art d’être-en-ville qui est aussi une manière d’être-au-monde, avec le corps, la ville et l’imaginaire comme bagages. La grande ville, assurément, regorge de ces petites et sinueuses artères qu’aucun plan ne mentionne », conclut-t-il.

APS

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