Jacob Desvarieux : « C’est au Sénégal que j’ai appris les premières notes de guitare… »

par | 15 février 2014 | Chroniques

Entretien avec le leader du groupe Kassav, Jacob Desvarieux :  » Nous sommes disposés à faire des prestations au Mali s’il y a des promoteurs culturels qualifiés et des conditions acceptables… « C’est au Sénégal que j’ai appris les premières notes de guitare… »

Le Maestro du zouk, leader du groupe Kassav, était l’invité d’honneur de la 10e édition du festival sur le Niger. Pour cela, il a séjourné pendant 48 heures à Ségou. Il a profité de son passage pour se confier à la presse nationale et internationale. Le citoyen d’honneur de la ville de Koulikoro, Jacob Devarieux était accompagné pour la circonstance du Maestro de la musique malienne, Cheick Tidiane Seck. Sa présence à Ségou est liée à un projet humanitaire notamment la création d’un pont culturel entre les Antilles et l’Afrique. Il a accepté de bien vouloir répondre à quelques-unes de nos questions.

 

L’indépendant Weekend : Comment s’est passé votre séjour en terre malienne?

Je suis très ravi d’être là et je suis beaucoup impressionné par l’engouement autour de ce festival. Le thème de cette édition nous interpelle tous et mon souhait est que ce grand rendez-vous serve de rapprochement entre les peuples.

Souhaiteriez-vous jouer sur une grande scène un jour au Mali ?

Je suis prêt à revenir avec mon groupe animer un spectacle. Mais pour qu’on puisse jouer quelque part, il faut qu’il y ait un promoteur qualifié et des conditions acceptables financièrement et techniquement. Nous allons dans d’autres pays qui sont moins fortunés que le Mali, comme les îles du Cap-Vert où nous jouons pratiquement tous les six mois. Alors, je demande aux promoteurs culturels maliens de faire plaisir à leur peuple. Je vous donne l’assurance que nous viendrons une fois, l’invitation faite.

On vous voit aussi très impliqué dans l’humanitaire. Pourquoi ce penchant ?

C’est vrai qu’on réalise beaucoup d’œuvres humanitaires.  Pour nous, quand on a la chance d’avoir une notoriété, on doit la redonner aux gens qui nous l’ont donnée. On se rend compte également que les gens que l’on aide n’ont pas envie de servir de publicité.

Vous avez également un peu perdu de votre silhouette légendaire. Que s’est-il passé?

(Pourtant connu pour sa nature réservée, Jacob répond avec beaucoup d’humour à cette question). On m’a dit que les femmes aiment plus les mecs sexys. Non, je blague. La vraie raison est que j’ai eu un grave problème de santé: une insuffisance rénale et j’ai été dialysé pendant 1 an. J’étais en surpoids et au cours de la dialyse, j’ai dû perdre 12 kgs.

Ce traitement n’est pas douloureux, mais il est épuisant. Physiquement et moralement, car pendant tout ce temps là, j’étais en attente d’une greffe. Et il y avait urgence… Avec mes 53 ans à l’époque, je n’étais malheureusement pas prioritaire. Sur la liste des personnes en attente d’une greffe de rein, ce sont les jeunes, les étudiants, les jeunes mamans, etc. qui passent d’abord. Je n’en pouvais plus d’attendre, je terminais mes concerts assis et ce n’était pas pour frimer. J’étais épuisé. Au bout d’un an, j’ai perdu patience. J’ai fait valoir au Professeur qui me suivait qu’il fallait que je puisse travailler normalement, car des dizaines de personnes risquaient de perdre leur emploi à cause de moi. La chance a fini par me sourire. J’ai enfin eu une réponse et j’ai été greffé d’un rein. Ça m’a changé la vie.

Pourquoi n’avez-vous pas sollicité une aide extérieure ?

Des parents, des amis, des fans m’ont proposé leur rein, mais c’est interdit en France pour éviter les trafics. Là-bas, la greffe est hyper-règlementée, il faut avoir une vie très saine, pas d’alcool, pas de cigarettes, pas de sortie. Et il faut être vraiment motivé sinon tu peux attendre longtemps. C’était mon cas! Aujourd’hui, je me fais le porte-parole de tous ceux qui sont en attente d’une greffe. N’attendez pas d’être confronté à la maladie ou la mort! De votre vivant, vous pouvez vous inscrire comme donneur d’organe et le faire savoir à votre famille. Lorsque le deuil survient si la famille n’est pas au courant de votre don, elle refuse le prélèvement d’organe, car elle est trop accablée par la douleur. Pourtant, ce geste de solidarité peut sauver une vie. Ça a sauvé la mienne.

Enfant, vous avez vécu au Sénégal. Quels souvenirs gardez-vous de l’Afrique?

J’avais 10 ans quand ma mère couturière a pris la décision de déménager en Afrique. Grâce à ses amis qui lui conseillaient de découvrir ce continent dont l’image était déformée par les médias de l’époque. On racontait que ce sont des sauvages comme dans Tarzan, la misère dans des huttes, les guerres tribales, les catastrophes, autant de clichés qu’elles voulaient combattre. Nous avons pris le bateau et débarqué à Dakar. J’y ai vécu de 1966 à 1968. Je suis allé à l’école là-bas, j’ai appris mes premières notes de guitare avec les grands frères du quartier et j’en garde des souvenirs très précis. A l’âge adulte, j’y suis retourné, j’ai reconnu tous les lieux de mon enfance, ma maison, mon école. J’ai retrouvé des copains.

Parlez-nous de votre projet visant à peaufiner un projet humanitaire en liaison avec les Antilles et l’Afrique particulièrement le Mali ?

Il fallait croire que j’étais prédestiné pour cette rencontre avec l’Afrique. Ce sont mes origines. Dès le 1er contact avec ce continent, je me suis senti chez moi, comme aux Antilles. À part la grandeur du pays, j’ai retrouvé la population noire, la même végétation, les mêmes maisons de style colonial, la même ambiance. Je ne suis pas un étranger ici. Les gens sont culturellement, traditionnellement, accueillants. Tu es noir, tu es le bienvenu. Les Africains te l’expriment en parole en t’appelant « mon frère« . J’ai beaucoup appris de mes amis africains (Jacob comprend quelques mots de wolof). Je pense que tous les Antillais devraient aller, au moins une fois en Afrique. Car culturellement, les Africains sont plus riches que nous et ils voient la vie différemment.

Vous vous sentez complètement en phase avec la mentalité africaine?

Je suis africain…. J’apprécie leur sagesse, le respect qu’ils ont pour les aînés. Les Africains sont moins hypocrites que nous. Par exemple, la polygamie est interdite en France alors que beaucoup d’hommes ont plusieurs femmes. Au fond, nous sommes tous polygames. En Afrique, dans les pays islamisés, les femmes trouvent ça normal et y voient même des avantages, notamment le fait d’élever les enfants ensemble. Mais, je ne sais pas si je pourrais avoir plusieurs épouses, car il faut assurer financièrement, traiter toutes les femmes à égalité pour éviter les conflits et participer à l’éducation de tous les enfants. Il faut aussi pouvoir assurer physiquement avec chacune d’elles (rires). Donc, pas de repos pour les polygames!

Vous apparaissez souvent dans des courts métrages. Avez-vous des prétentions à faire carrière dans le 7e art ?

Je n’ai pas de velléité à devenir comédien et je n’accepte que les petits rôles qu’on me propose grâce à ma notoriété. Le cinéma noir a du mal à se faire une réelle place en France. Et y participer permet à d’autres comédiens de travailler. Ces collaborations sont des aventures amusantes, alors, pourquoi pas? J’aime le 7e art. Mais le planning du groupe ne me permet pas de m’engager à long terme.

Vous tendez vers la fin de votre carrière. Avez-vous préparé la relève ?

Malheureusement, ça ne marche pas comme une équipe de football ! Kassav, est un groupe très personnalisé. Lorsqu’on enlève quelqu’un et le remplace, ce n’est pas pareil. On ne peut pas forcer les gens à intégrer le groupe. Par contre, le groupe aide à travers des conseils, les jeunes qui émergent ou ceux qui ont quelque chose d’intéressant à proposer lors des différentes tournées.

Clarisse NJIKAM    

SOURCE: L’Indépendant  du   14 Mali.   

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