L’ouverture du multiplex Pathé avec une capacité de plus de 1000 places pourrait être, selon les acteurs du secteur, une aubaine pour relancer les longs métrages sénégalais.
Jusqu’ici la capitale du Sénégal ne comptait que deux salles de cinéma fonctionnelles : le complexe Canal Olympia et le Sembène Ousmane. Ce dernier, ouvert depuis 2018, possède trois salles de projection d’un total de 550 places. Pourtant, depuis juillet 2021, il ne diffuse que très peu des films sénégalais ou africains. La faute, en partie, aux droits d’exploitation qui sont pour la plupart détenus par des producteurs étrangers où ces films passent le plus sur grand écran. Inauguré il y a quelques jours, le cinéma Pathé Dakar s’est donné comme mission, entre autres, de relever ce défi de la programmation des films sénégalais et africains. Un pari salué par les réalisateurs et les distributeurs sénégalais qui, espèrent par-là, (ré) habituer le public à la production nationale.
«Point de vue infrastructure, films à l’affiche, qualités techniques (acoustique et images), le multiplex n’a rien à envier aux grandes salles modernes ailleurs dans le monde. Pathé a bien livré la commande promise ces quatre dernières années. La programmation est éclectique, tous les goûts et tous les âges. Des films du Sénégal et d’ailleurs en Afrique y sont aussi annoncés ». Le commentaire est de Oumy Ndour, journaliste et actrice culturelle, surtout dans le monde du cinéma africain. Le groupe Pathé-Gaumont, leader dans l’exploitation des salles en France, a mis à la disposition du public sénégalais, dans le quartier de Mermoz, 8000 m² d’espaces dédiés aux cinéphiles et dont la programmation devrait allier blockbusters et cinémas africains. Une aubaine pour les réalisateurs locaux qui espèrent faire découvrir leurs œuvres à leurs compatriotes. Avec sept salles et une capacité de plus de 1000 places, il devrait y avoir largement le choix pour faire revivre une industrie à l’agonie depuis le début des années 2000. De faible valeur économique, la salle de cinéma reste tout de même une instance de forte valorisation. Outre le personnel, le ticket d’entrée sert à faire vivre toute une chaîne : de la commercialisation, la distribution, à la production du film qui s’en sert pour financer de nouvelles œuvres. A titre d’exemple, la force et la vitalité du cinéma américain proviennent directement des salles. «En tant que réalisateur et producteur, on espère avoir des conventions de distribution », dit Thomas Grand. Réalisateur, scénariste et producteur, il a, à son actif, pas moins de deux réalisations à son actif. Dans le passé, il a travaillé avec des exploitants mais quelques mésaventures ont fait qu’il préfère désormais assurer la commercialisation de ses œuvres lui-même. Pour ce propriétaire d’une boite de production, un cinéma qui a pour ambition de programmer des œuvres locales est un allié dans cette filière où il est difficile de faire son beurre. Tellement difficile que beaucoup de cinéastes ont abandonné les longs métrages pour les séries. Entre 2019 et 2020, le Sénégal comptait zéro long métrage. Et pour ceux qui en écrivent encore, les scénarios sont destinés à convaincre le jury des festivals de cinéma, bien loin du public.
Éduquer le public aux films sénégalais
Scénariste, réalisatrice et journaliste, Mame Woury Thioubou détient un catalogue de 5 films dont deux prix pour 5 étoiles (Tanit de bronze à Carthage) et Fiifiiré au pays Cuballo (meilleur film vue d’Afrique, Montréal). Outre le « quelque chose » qui lui vient des festivals, elle avoue tirer ses recettes principalement des guichets de financement avec les lignes droits d’auteur et salaire de réalisateur. « Faute mécénat pour faire des réalisations destinées aux salles de cinéma », conclut-elle. Avec un droit d’entrée à 5000 FCFA pour les premières et 3000 FCFA pour le reste, le cinéma Pathé ne fera certainement pas dans le mécénat mais acheter des films sénégalais seraient déjà un début pour sortir l’industrie de l’ornière. Son directeur, Moustapha Samb, embarqué dans le projet depuis deux ans, est connu pour avoir, dans son précédent poste à l’Institut français, beaucoup programmé la production africaine. « Si le cinéma achète des films sénégalais, ce serait bien et ça fait partie de leur feuille de route, de leur calendrier. On en a parlé avec Moustapha Samb et j’ai bon espoir », dit Pape Bouname Lopy qui a coréalisé Dem Dem, un court métrage prisé par les festivals et inconnu de la plupart des Sénégalais. « Parce que le public n’est pas éduqué cinématographiquement. On a perdu cette culture avec la fermeture des salles de cinéma », tente d’expliquer Oumou Diégane Niang distributrice, coordinatrice du programme Cinexale au Centre Yennenga. Avant l’arrivée de ce cinéma, Oumou s’est appuyée sur un nouveau modèle de distribution qui consiste à aller à la rencontre du public. Elle a pu ainsi réussir à projeter les films « Baamum Nafi » de Mamadou Dia et « La Nuit des Rois » de Philippe Lâcote dans toutes les régions du Sénégal. Deux films qu’elle a aussi réussi à faire programmer au Complexe Ousmane Sembène. Avec le cinéma Pathé, elle espère mettre à l’affiche le film « Mouton » de Pape Bouname Lopy, actuellement en post-production. « Avec l’ouverture de Pathé, on espère que la production sénégalaise va connaitre un coup de boost parce que l’homme à la direction a cet objectif. Cependant, l’Etat doit aussi jouer sa partition », argumente-t-elle.
Si le privé ne travaille qu’à satisfaire à une demande sociale, l’État en revanche, a dans l’obligation de faire briller la culture, donc le cinéma sénégalais. De l’avis des acteurs, un accompagnement à la programmation serait le bienvenue pour aider les salles à faire vivre l’industrie du cinéma.
AICHA FALL