Aby Ndour est un cas particulier dans le milieu de la musique sénégalaise. La sœur de l’autre assure qu’elle mène sa carrière lentement mais sûrement. Elle assume sa liberté de ton et assène qu’elle ne doit rien à personne. Dans l’entretien qui suit, elle revient sur l’évolution de sa carrière, ses choix politiques, ses relations avec Youssou Ndour et sur ses projets. Sans fuir le débat, elle a répondu franchement à toutes nos questions avec un sens certain des responsabilités.
Le Témoin – Vous avez eu à chanter un hymne à la paix qui a beaucoup cartonné. Que vous inspire la portée de ce titre ?
Aby NDOUR – J’avais décidé de sortir ce single il ya de cela quatre ans. Le titre « Jaam ak salam » parle de la paix au Sénégal. Je pense que j’ai bien anticipé sur les événements car c’était bien avant les élections de 2012. Avec ce titre, j’ai eu à poser un acte fort au niveau de la situation actuelle. Surtout que « Jamm ak Salam » est très présent au niveau de tous les médias et cela est une bonne chose que je magnifie.
Aby, vous arrive-t-il de faire des choses dans le domaine du social ?
Il faut dire que j’évolue beaucoup dans le domaine du social et je soutiens beaucoup les talibés. J’ai une association dénommée « Action sur l’enfance » depuis 2004. Je suis toujours impliquée dans toutes les questions qui touchent à l’enfance et à la femme. D’ailleurs, je ne ménagerai aucun effort pour attirer l’attention sur le sort des femmes et des enfants. Depuis deux ans, je célèbre mon anniversaire le 1er juillet en collectant des vivres et habits que je remets aux populations démunies. Et je poursuivrai sur cette lancée. Seulement, je le fais à mon rythme et à ma manière sans faire trop de bruit.
Concrètement, quelles sont les actions que vous avez effectuées dans ce cadre ?
Je mène des actions ponctuelles pour ces couches défavorisées comme le concert de 2004 que j’avais organisé et dont j’avais versé les recettes aux talibés. Mais, pour dire vrai, je n’aime pas trop m’appesantir sur les actions sociales que je mène. Mon but est de faire les choses dans la plus grande discrétion.
A votre avis, qu’est ce qui manque à la femme sénégalaise pour occuper la place qui devrait lui échoir dans la bonne marche de la société ?
Je pense qu’il faut une plus grande assistance pour les femmes. Nous devons être plus soutenues et appuyées par les autorités. Je voudrais aussi que les femmes soient beaucoup plus présentes sur le terrain. En général,elles sont obligées de rester à la maison pour s’occuper de la famille. C’est un peu difficile mais il faut aussi essayer de changer de cap pour que la femme sénégalaise soit plus présente au niveau des postes de responsabilité.
Que pensez-vous de la présence très limitée des chanteuses sénégalaises sur la scène musicale internationale ? Est-ce que Aby Ndour envisage d’aller conquérir ce marché mondial ?
Nous essayons pourtant tout le temps de sortir des sentiers battus. En ce qui me concerne, je me bats pour avoir une belle carrière au niveau international. Je peux juste vous dire que j’ai déjà un producteur dont je tairai le nom pour le moment. Nous collaborons depuis 2005. J’ai déjà fini d’enregistrer mon album international et il ne reste que la sortie. Cependant, je dois convenir que ce n’est pas évident de s’imposer pour nous en Europe ou aux Usa. On doit donc y aller doucement. Nous verrons comment faire pour avoir une histoire derrière Aby Ndour et arriver à imposer notre marque de fabrique. Il s’agit évidemment d’un long processus et nous en sommes conscientes. Je suis en train de me préparer pour sortir cet album international et ce sera pour très bientôt.
Pour s’imposer à l’extérieur, il faut un vrai spectacle et une belle chorégraphie ; peut-on s’attendre à voir Aby intégrer cette donne et bouger un peu plus sur scène ?
Je reconnais que je ne suis pas une grande danseuse. Je préfère mettre ma voix en valeur. Encore une fois, je ne suis pas une grande danseuse. Je fais tout pour mettre en valeur la musique et ma voix. Le groupe que j’ai monté m’est d’un grand appui dans ce domaine de la présence scénique. Il existe une très complicité entre nous. Je peux dire que nous sommes en train de fonder une famille. Je souhaiterais que les journalistes m’assistent dans ce nouveau défi. Je suis artiste et sénégalaise et je connais bien le rythme même si je ne bouge pas beaucoup.
On a noté beaucoup de progrès que vous avez effectués depuis le lancement de votre carrière. Quel est le secret d’Aby Ndour ?
Pour vous répondre, je vais paraphraser l’ancien président Wade : « il faut travailler, beaucoup travailler, encore travailler et toujours travailler ». Il n’ya pas de secret. C’est un motif de satisfaction et je rends grâce à Dieu que mon travail soit reconnu par les journalistes. C’est aussi une invitation à ne jamais baisser les bras. Je suis en train d’évoluer à mon rythme. Le monde ne s‘est pas construit en un jour. Je prends toujours le temps de bien murir mes albums. Je mets souvent quatre à cinq ans avant de sortir un nouveau produit. Il ne s’agit pas d’une coquetterie mais je voudrais produire un travail bien fait. Je suis restée sept ans, de 2004 à 2011, avant de sortir mon dernier album. Cela prouve que je mets du cœur dans ce que je fais. Il ya beaucoup de façons de communiquer. On peut choisir d’occuper les médias tout le temps mais le silence est aussi une forme de communication en soi. Je voudrais que le concert soit plus vivant et plus attirant que l’album. Cela prouvera que j’aurais franchi un nouveau cap dans l’évolution de ma carrière.
Aby est d’une simplicité avérée, est-ce une exception au niveau de la famille Ndour ? Je veux dire que vous n’avez pas les mêmes attitudes face à la presse que des artistes comme Youssou ou Viviane Ndour. Etes-vous une artiste à part dans la galaxie des Ndour ?
Il est vrai que je suis une femme à part dans la famille Ndour. On me dit toujours que je suis vraiment différente de telle ou telle personne dans la famille Ndour. Je vais vous dire que je suis naturellement comme cela. Je ne force pas les choses. Je n’essaye pas de m’adapter aux situations. Je vis comme ça et je suis toujours disponible pour la presse et mes fans. Je n’ai rien à cacher et je dois remercier mes parents qui m’ont inculqué ces valeurs. Il peut arriver que je fasse des erreurs ou que je trébuche car je suis avant tout un être humain. Mais je veillerai toujours à marcher sur le droit chemin. Je sens que je respecte
les journalistes mais eux aussi me vouent un respect. Je vais essayer de préserver ces valeurs auxquelles je crois profondément. Pouvez-vous revenir sur les moments forts de votre carrière ?
Les choses ont démarré en 1992 avec l’ancien directeur du centre culturel français, François Bellorgey. A l’époque, j’étais très jeune et il fallait que mon jeune frère Ibrahima m’accompagne dans la cabine pour que je puisse placer ma voix. Cette compilation titrée « Sénégal 92 » avait réuni de grands artistes comme feue Aminata Fall, Pape Niang, le PBS et tant d’autres. Il est vrai qu’avant la sortie de cette compilation, j’avais effectué des chœurs pour Youssou Ndour. Ce qui m’a permis de faire le tour du monde. Cette compilation a servi de déclic car j’ai enchainé sur mon premier album « Jigéen » qui est sorti en 1994. Par la suite, j’ai sorti deux autres albums avant d’aller vivre sept ans aux USA. Je suis revenue en 2004 pour sortir un album avant de récidiver en 2011 lorsque j’ai mis sur le marché le dernier opus en date de ma carrière, longue de plus de vingt ans. Tout cela pour vous dire que j’ai dû faire face à beaucoup de problèmes dans la vie. Rien ne m’a été donné. Je n’ai jamais tendu la main à quelqu’un pour me prendre en charge. J’ai commencé à travailler à l’âge de dix-sept ans et, depuis, je n’ai jamais baissé les bras. J’ai toujours vécu à la sueur de mon front. C’est peut-être pour cette raison que ma carrière a tardé à décoller. Il arrive souvent de voir des artistes caracoler en tête des hits alors qu’ils n’avaient même pas débuté leur carrière au moment où je commençais. Mais, à mon avis, cela est inhérent à la vie. Chacun dispose de son propre cursus et de sa propre chance. En ce qui me concerne, je suis convaincue que les choses finiront par décoller un jour. Je marche lentement mais sûrement et je compte bien arriver au but et c’est l’essentiel. Je suis seule dans mon boulot et je n’ai aucun soutien de la part de qui que ce soit. Je prends en charge toutes les dépenses induites par la marche de mon groupe. Je prie Dieu pour que ces conditions difficiles changent un jour. Vous êtes des journalistes et vous voyez bien qu’Aby Ndour ne dispose d’aucun privilège. Au contraire, vous vous demandez souvent pourquoi cela se passe ainsi pour moi. A mon avis, cela découle de la volonté de Dieu et de ma résolution de m’affranchir de toutes les tutelles. Je suis seule et j’en suis fière. Car, si jamais je réussis à atteindre mes objectifs un jour, je pourrais m’en glorifier avec fierté en disant que je ne dois rien à personne. J’ai donc eu à marcher à mon rythme et j’ai pu faire d’intéressantes rencontres. Au cours de mon séjour aux Usa, j’ai participé à une compilation produite par Puta Mayo à côté d’artistes comme Myriam Makéba, Habib Koité etc. En Amérique toujours, j’ai aussi fait beaucoup de musiques de films avec Georges Acogny, l’ancien bassiste de Peter Gabriel. Au moment où on m’appelait pour participer à cette compilation, je travaillais dans un salon de coiffure qui appartenait à une Gambienne. Au départ, je n’y avais pas cru et il a fallu que le producteur se déplace pour que les choses se concrétisent. Tout cela pour dire que rien ne m’a été donné encore une fois.
Vous faites allusion à Youssou Ndour parce qu’il soutient d’autres artistes ?
Il me semble que je n’ai pas été bien comprise. Je n’attends rien de personne. Il se trouve peut-être qu’il s’agit d’un problème de sensations. Peut-être qu’ ’il sent un peu plus ces artistes là. Je suis convaincue d’une chose, et comme je l’ai dit tantôt, nul ne peut échapper à son destin. Je l’ai dit et répété à satiété, je ne dépends de personne pour vivre.
Quel appel lancez-vous au public et aux Sénégalais ?
Je prie pour que cette nouvelle dynamique enclenchée se poursuive correctement. Pour cela, j’en appelle au soutien du grand public et de la presse. Je ne vais jamais baisser les bras et je continuerai le travail. Pour le message au peuple du Sénégal, je le renvoie tout simplement au titre « Jaam ak Salam » qui a fini de faire sa propre publicité. Rien ne vaut la paix et que Dieu assiste toujours notre beau pays, le Sénégal.
Propos recueillis par Fadel LO
Article paru dans « Le Témoin N° 1175 » –Hebdomadaire Sénégalais ( AOUT 2014)