DUGGY TEE : « Je le dis et je le répète, nous sommes un peuple très indiscipliné. »

par | 31 mai 2013 | Interviews

Artiste chevronné et éclectique, DUGGY TEE fait incontestablement partie de ces hommes qui ont marqué pour toujours leur temps. Avec le Positive Black Soul (PBS), ils ont amené le hip hop sénégalais et africain à une sommité jusqu’ici jamais égalé. DUGGY TEE a accordé à Dakar Musique un entretien exclusif dans lequel il se livre avec le franc-parler qu’on lui connait.

Dakarmusique.com: vous êtes membre fondateur du PBS qui est incontestablement l’un des pionniers du mouvement hip hop Africain!
Que les gens le reconnaissent ou pas, le PBS est le premier groupe de rap africain internationalement connu. Nous sommes les premiers à avoir fait les scènes internationales, nous sommes les premiers à produire des groupes ici; tous les groupes que vous voyez ici aujourd’hui et qui sont de notre époque sont passés entre les mains du Positive Black Soul. Il y en a beaucoup que j’ai personnellement amené au studio pour la première fois. Voila c’est quelque chose qui nous est tombée dessus, c’est dieu qui l’a voulu de la sorte. On y a cru, nous n’avons pas lâché l’affaire bien qu’on se faisait rejeter assez souvent, on a produit des groupes comme DA BRAINS, PEE FROISS etc., nous avons fait les premières compilations ici au Sénégal avec des groupes à  leur tout début comme le DARAJI FAMILY etc.  Donc, qu’on le reconnaisse aujourd’hui ou pas, nous avons un sentiment de satisfaction et, on ne le faisait pas non plus pour avoir de la reconnaissance, mais juste pour être fière d’eux quelques années plus tard et, aujourd’hui, je suis fière d’eux parce qu’ils ont bien travaillé, respect.

Dakarmusique.com: dans les années 1990, le Sénégal était la troisième nation hip hop et grâce au PBS aussi !
Oui parce qu’on ramenait des gens qui venaient d’un peu partout à travers le monde et, se sont ces gens là eux-mêmes qui le disaient. Le hip hop c’était les Etats-Unis où ca faisait le plus de bruit d’ailleurs et c’est naturel, ensuite vient la France et au niveau africain c’était Dakar. On y a contribué certes, nous nous sommes battus pour, mais il y a aussi tous ces groupes là qui se sont produits ou autoproduits, il y avait vraiment une effervescence au niveau de la créativité et le monde entier nous la reconnue.

Dakarmusique.com: qu’est ce qui explique le fait que Dakar ait perdu sa place ?
Dakar a perdu sa place parce qu’il n’a pas su la conserver. Les gens ont un peu tué le hip hop aussi. Tout le monde s’est levé un jour pour s’improviser artiste; je n’interdis à personne de faire ce qu’il a envie de faire mais quand même qu’ils le fassent bien parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde. Mais il y a des gens véreux qui se sont introduit dans le milieu du hip hop et on gagnait la confiance de certains artistes qui sont un peu crédules et qui, du jour au lendemain, ont démoli tout le travail entrepris depuis belle lurette. Ils ont semé la zizanie parce qu’il ne faudrait pas oublier qu’il fut un temps où le hip hop était violant, les gars insultaient, les groupes s’attaquaient etc. nous n’avons pas su en faire un business, une industrie commerciale. Nous nous sommes endormis sur nos lauriers et c’est regrettable mais tout n’est pas encore perdu, il faut juste restructurer les choses, et rendre à César ce qui est à César c’est-à-dire que chaque artiste ait son dû, le nouveau comme l’ancien.

Dakarmusique.com: cette industrie culturelle dans le hip hop est quasi inexistante au Sénégal, comment y remédier ?
L’industrie culturelle est là mais on l’exploite de manière stupide à cause du favoritisme. Par exemple, au Sénégal, on voit que Doudou peut mener à  bien ce travail mais, on le donne à Samba parce que ce dernier est un ami ou bien est de la famille, et c’est là où réside le problème. Donc pour bien faire les choses, il faut s’intéresser aux professionnels, mettre l’homme ou la femme qu’il faut à la place qu’il faut.

Dakarmusique.com: DUGGGY TEE, un rappeur à plusieurs flow ?
Dés le début, je me suis dis que je ne vais pas être un artiste étiqueté, qu’on se dise: c’est ca que DUGGY TEE sait faire, non ! Dieu nous a tous donné des dons et des capacités et c’est à  nous de les développer. Quand j’ai commencé à chanter et que ca ait plu aux gens, je me suis dis que je vais développer mon champ, et mettre des mélodies parce que ces dernières vont droit au cœur. De temps en temps, je suis carrément rap, d’autres fois je fais du reggae, je chante un peu le style traditionnel aussi, c’est important et il y a beaucoup d’artistes qui le font et qui sont intéressants. La polyvalence est un don mais il faut aussi le travailler.

Dakarmusique.com: pouvez vous revenir sur le tube MEGA XL ?
MEGA XL  est un son que j’ai fait en anglais et qui se trouve dans l’album FIT qui n’a pas eu la promo qu’il fallait a cause de la campagne présidentielle. Je dis dans cette chanson que nous devons avoir une vision large, XL veut dire extra-large ce qui donne méga-extra-large; c’est-à-dire que je ne vois pas les choses en petit, je suis pour l’humilité, il faut être humble dans la vie mais la modestie c’est pour les médiocre. Ce que je veux dire grosso modo dans MEGA XL c’est : vise grand, vois grand, pense grand et vis de manière grande.

Dakarmusique.com: on vous colle souvent l’étiquète de rappeur sentimental, vous en pensez quoi ?   
Je pense que tout est sentiment dans ce monde, la rage c’est un sentiment, le gars qui insulte un système c’est des sentiments qu’il exprime etc. si les gens ne sont pas sentimentaux c’est qu’ils ont perdu leur humanité (rires). Quand on a plus de sentiment on est mort, c’est comme quand on ne rêve plus, une personne qui ne rêve plus est morte.

Dakarmusique.com: comment voyez vous la situation politico-économique du pays ?
Je la vois léthargique, rien ne bouge et, honnêtement, je ne vois rien du tout. C’est dû à quoi ? Je ne saurais le dire. Mais les gouvernants devraient y mettre un peu plus de patriotisme de même que nous, le peuple, devront être solidaire, patriote et fière de ce que nous sommes. Et ce qui nous caractérise le plus surtout,  c’est que nous sommes indisciplinés, je le dis et je le répète, nous sommes un peuple très indiscipliné.  

Dakarmusique.com: en tant qu’artiste, comment vivez vous la crise que traverse le ministère de la culture ?
Cela fait longtemps que nous n’avons plus de ministère de la culture !  Je ne vois vraiment pas un développement culturel dans ce pays. Il devrait y avoir une industrie culturelle mais ce qui se passe dans ce pays c’est du favoritisme. Ce n’est pas seulement le ministère de la culture qui est en crise mais beaucoup de ministères; les ministres s’illustrent en donnant des billets de Banque à SORANO ou bien  en parrainant des soirées et autres.  Le hip hop ne demande pas de parrainage mais un accompagnement, nous créons de l’emploi, nous faisons travailler des jeunes dans la musique, dans la vidéo, dans la sécurité, dans l’événementiel etc.

Dakarmusique.com : mot pour la fin !
Je prie pour le Sénégal, pour les sénégalais et pour l’Afrique. Vivement le réveil de tous les patriotes sénégalais prônant le patriotisme. Soyons fiers de ce que nous sommes et aidons nous les uns les autres.    
Par Abdoulaye Diaw, Dakar Musique
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