Pas une seule fois, les voix des acteurs culturels ne se sont fait entendre au cours de la campagne des élections locales. Plus exactement, les artistes ont préféré jouer les seconds rôles au cours de cette période d’effervescence politique. C’est ainsi que certains parmi eux, assis sur leur dignité, ont préféré suivre des convois pour animer la galerie plutôt que d’imposer aux candidats leur vision de la cité culturelle. Quant aux autres, ils ont tout simplement gardé le silence. Au vrai, nos acteurs culturels semblent plongés dans un profond sommeil. A quand le réveil ?
C’est à croire que le Sénégal manque véritablement d’acteurs culturels qui se préoccupent de la marche de la cité. Certes, certains parmi ces artistes n’hésitent pas à prendre la plume ou à donner de la voix pour dénoncer les errements des dirigeants politiques ou pour réclamer des faveurs. Mais, quand il s’agit de prendre leur destin en main et lorsqu’ils ont la possibilité de se faire entendre à certains occasions comme lors des dernières locales, la plupart des acteurs culturels viennent assurer l’animation plutôt que d’imposer leurs idées. Youssou Ndour, leader d’un mouvement qui revendique des milliers de sympathisants, a préféré sillonner le pays pour, prétendument, donner un coup de main aux candidats locaux de la majorité présidentielle. Ce plutôt que de faire entendre la voix des acteurs culturels dans le sens d’exprimer leurs préoccupations. Malheureusement, d’ailleurs, son activisme n’a pas du tout payé puisque la plupart des candidats qu’il a soutenus ont été battus dans leurs localités. Conséquence : on assiste à une baisse incontestable de popularité de celui qui avait cru avoir un destin de présidentiable en 2012. Encore un coup de cet effet de foule qui constitue un véritable mirage pour nos politiciens.
Le mouvement « Yen a marre », dont les animateurs sont pour la plupart des rappeurs, n’a pas non plus fait entendre sa voix durant ces locales. Un des leaders de ce mouvement, Malal Talla dit « Fou Malade », qui s’était farouchement opposé à la candidature du frère du président de la République, Aliou Sall, à Guédiawaye s’est retrouvé en prison après avoir traité les policiers de « corrompus » devant le ministre de l’Intérieur. Toujours est-il que, lui aussi a montré le peu d’influence qu’il a dans ce grand département de la banlieue puisque le candidat Aliou Sall dont il disait qu’il était persona non grata à Guédiawaye a été élu haut la main dans les cinq communes d’arrondissement. « Queen Biz », la seule artiste sur une liste, s’est vue presque forcer la main. A part quelques interviews dans la presse pour s’expliquer sur les raisons de la présence de son nom sur la liste dirigée par le frangin du président Sall, personne ne l’a entendue durant cette campagne où elle était certainement occupée à animer des plateaux. Et pourtant, la jeune fille au look démentiel reste la star la plus diplômée du mouvement hip hop. Elle même dit qu’elle n’est pas n’importe qui dans ce pays. Les autres, qu’ils soient des rappeurs, des Mbalaxmen ou des adeptes d’autres genres musicaux, ont tous été silencieux. Ils n’ont même pas eu l’idée d’auditionner les candidats de leurs communes respectives sur leurs projets culturels. C’était à se demander si certains n’ont pas fait du copier – coller. Bref, nos musiciens ont été plus préoccupés à animer des meetings pour se faire de l’argent qu’à se positionner au niveau de leurs communes pour faire entendre leurs voix et prendre leur destin en main au lieu de passer tout leur temps à quémander des sous pour se faire soigner.
Chez les comédiens, certains ont aussi remisé au vestiaire leur dignité pour jouer les bouffons devant les foules d’électeurs. Ceux qui se réclament de la classe des intellectuels, à savoir les écrivains, n’ont pas non plus posé de leurs poids sur les locales. Ils ont préféré s’enfermer pour discuter du sexe de l’acte 3 de la Décentralisation qui a été débattu et théorisé pendant qu’ils étaient dans un profond sommeil. C’est à croire qu’ils ont raté le train. Et pourtant, lutter pour faire en sorte que toutes les communes disposent de bibliothèques leur aurait permis de mieux vivre de leur plume. En effet, si des livres sont achetés en quantité et mis à la disposition des communes et autres, les écrivains et éditeurs y gagneraient beaucoup. Mais les plus grands bénéficiaires, ce serait, bien sûr, nos enfants mais aussi tous les amoureux du livre qui n’ont pas les moyens de s’en procurer. Sans compter que les animateurs culturels aussi pourraient trouver un point de chute dans ces centres culturels promis aux électeurs. Des centres dans lesquels les enfants pourraient faire éclore leurs talents. En Europe et dans tous les autres continents, cet apprentissage artistique est un droit pour les enfants puisqu’il participe à leur formation intellectuelle. Des ateliers en arts plastiques, en contes, expression théâtrale, en musique, en dessin etc. dans ces centres permettraient d’éloigner nos enfants de la rue. Hélas, les animateurs culturels n’ont pas pu vendre ces idées aux différents candidats. Eux aussi se sont murés dans le silence. Compte tenu de tout ce qui précède, on pourrait se demander en fin de compte si nos acteurs culturels — pas tous heureusement — ne méritent pas leur sort qui consiste à compter sur des quêtes pour se soigner en cas de maladie. Ce au lieu de se battre pour, par exemple, avoir une véritable sécurité sociale…
ALASSANE SECK GUEYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1171 –Hebdomadaire Sénégalais (JUILLET 2014)