Oumou Sangaré, porte-parole des femmes et business woman accomplie. Un parcours entre modernité et traditions.
La rédaction est allée à la rencontre de la grande Oumou Sangaré, à l’occasion de la sortie de son prochain album, Mogoya. La chanteuse malienne a rapidement conquis le cœur de ses compatriotes, mais également celui de la scène internationale. C’est dans un café parisien que nous l’avons rencontré, vêtue d’une magnifique tenue de bazin. Elle est arrivée entourée de sa famille et de ses amis, qu’elle n’a pas hésité à chasser d’un ton directif, mais bienveillant pour nous accorder un peu d’intimité.
Une enfant prodige
C’est à l’âge de 5 ans que tout commence pour Oumou Sangaré. Lors d’un concours inter-scolaire, tout le monde tombe sous le charme du duo de danse et de chant que la fillette d’alors, à la voix déjà puissante, forme avec un camarade. « C’était trop beau » se rappelle-t-elle le visage rayonnant. La communauté comme envoûtée organise alors un concert au stade omnisports de la ville pour les deux enfants. Par la force du bouche à oreille, Oumou Sangaré se retrouve devant un public de 3 000 personnes rassemblées essentiellement pour elle. « J’ai pris la fuite ! » dit-elle en rigolant. « Ma mère m’a poursuivie mais j’ai eu très peur ! C’était énorme pour moi. » Imaginez-vous une petite fille haute comme trois pommes que l’on fait monter sur une table pour qu’elle soit vue et admirée de tous. Sur les conseils de sa mère, elle ferme les yeux, entame sa chanson et la magie opère.
Du Mali à l’international
Malgré les réticences de sa mère, Oumou tente sa chance et se fait repérer, à 16 ans, par le groupe Djoliba Percussion. Elle se joint à sa tournée à travers l’Europe. « Je ne connaissais pas l’Europe alors j’étais très excitée à l’idée d’y aller ». La France, l’Allemagne, la Hollande, les Caraïbes… Oumou Sangaré commence à toucher du doigt ce qui sera sa future carrière. C’est véritablement aux côtés de griots et griottes que la jeune femme trouve ses marques et fait de la scène son nouveau terrain de jeu. « Je me suis dit que ma voix et moi plaisions vraiment au public européen puisque les gens m’applaudissaient sans comprendre mes paroles. Dès que je suis rentrée, j’ai créé mon groupe ! » Le public européen est fou de cette nouvelle chanteuse malienne et elle le lui rend bien.
À 18 ans, elle sort son premier album, Moussolu – Les femmes – qui réalise un véritable carton. Pourtant, cet album, Oumou Sangaré n’en voulait pas. Partagée entre la peur et la honte d’échouer, elle refuse les nombreuses propositions de son futur producteur, Ali Farka Touré. « J’étais bien comme cela, j’étais bien dans la rue, j’arrivais à m’occuper de ma mère et de ma famille. J’avais peur de rater et d’attirer la honte sur ma famille car je ne pensais pas aller loin » confie-t-elle. À force d’insistance et après avoir mis sa propre voiture en jeu, Ali Farka Touré arrive à convaincre Oumou Sangaré de sortir cet album. « Quoi ? Moi ? Une voiture ? Alors j’accepte ! » nous dit-elle en rigolant. C’est la consécration. Moussolu résonne dans tout le Mali, sa carrière est lancée et elle signe à 21 ans un contrat avec le label anglais World Circuit.
Pendant ses tournées, elle réalise de nombreux duos avec de grands noms de la chanson tels qu’Alicia Keys lors d’un passage à la télévision française. « Ma voix lui donnait la chair de poule et elle ne voulait chanter qu’à une seule condition : que je sois présente et que je chante à ses côtés » se rappelle-t-elle fièrement.
Celle que « tout le monde acclamait » petite et comparait à Coumba Sibibé, autre diva du Wassoulou disparue en 2009, s’est fait une place de choix dans le monde de la musique.
Une carrière en hommage aux femmes et surtout à sa mère
Mais tout n’a pas toujours été rose dans la vie de la jeune Oumou Sangaré. Son père quitte très tôt le foyer familial, laisse Oumou, ses six frères et sœurs, et sa mère seuls. « Sans emploi, sans aides sociales qui n’existaient pas en Afrique à cette époque-là, la vie était très dure pour elle » déplore Oumou Sangaré. Alors, c’est en voulant aider sa mère qu’elle décide de quitter l’école et de commencer à chanter dans la rue, puis tous les dimanches et les jeudis dans les mariages et les baptêmes. « Dans la rue, tu gagnes bien ta vie quand tu chantes et c’est comme ça que j’ai pu aider ma mère. »
Toute sa carrière, Oumou Sangaré la dédie à sa mère, à sa vengeance, mais également à toutes les femmes. En abordant la souffrance de sa mère dans ses titres, elle se rend compte qu’elle « touche du doigt, celles de nombreuses femmes africaines ». Aux travers de ses chansons, elle incite les femmes à « ne jamais baisser les bras », à se battre pour se faire entendre dans ce monde « fait et adapté aux hommes, et se faire une place ». Elle invite les femmes à se lever, à « travailler dans tous les domaines ». Au mot féministe, Oumou Sangaré fronce les sourcils et hausse les épaules. « Je ne suis pas là pour me battre contre les hommes. Je travaille avec tout le monde, précise-t-elle. Mais mon but est d’aider les femmes à se développer par elles-mêmes car personne ne le fera à leur place ».
« La vie est un combat ! Personne ne croira en vous à votre place. »
Dans son dernier album Mogoya, Oumou Sangaré prend une place de grande sœur qui a traversé beaucoup d’épreuves et guide les jeunes filles à suivre ses pas et à ne pas céder aux tentations négatives de la vie, comme le suicide, qui prend de plus en plus d’ampleur au Mali.
Une femme de caractère aux multiples facettes
Derrière la chanteuse, il y a aussi Oumou Sangaré, la femme d’affaires. Si elle n’a pas sorti d’album depuis près de huit ans, ce n’est pas par manque d’inspiration. Elle n’a « jamais voulu céder à la pression et au stress des maisons de disques » qui poussent les artistes à produire des albums de façon régulière. Oumou Sangaré aime prendre son temps pour écrire et travailler ses paroles. « Il n’y a pas de pause chez moi. Je n’ai jamais été inactive car j’ai besoin d’être mobile constamment » souligne-t-elle sérieusement.
Toujours dans l’esprit de prouver aux femmes que tout est possible, elle a créé, entre deux tournées ou deux scènes, un hôtel, la marque de voiture sino-malienne, Oum Sang, une ferme de dix hectares et plus récemment, un festival de musique Wassoulou. Sans oublier, un complexe de quarante bungalows climatisés dans son village. Tant d’initiatives qui créent de l’emploi au sein de son pays. « Travaillons ! Réveillez-vous ! », insiste-t-elle.
C’est en allant régulièrement travailler dans ses champs aux côtés de sa mère octogénaire, photos Facebook à l’appui, qu’elle montre l’exemple et enseigne les bonnes pratiques pour que les jeunes prennent conscience « qu’ils peuvent eux aussi faire quelque chose chez eux, en Afrique, au lieu de perdre la vie en mer en essayant de venir en Europe, croyant qu’ils vont y trouver monts et merveilles. Mais même en Europe il faut travailler ! ». Si Oumou Sangare avoue parfois être fatiguée, elle ne se laisse jamais aller car elle se doit d’être un pilier solide pour aider son pays à se développer.
Entre tradition et modernité
Oumou Sangaré se bat également contre l’excision, les mariages forcés ou toutes autres traditions de la société patriarcale africaine qui nuit au développement de la femme. Pourtant, elle n’est pas contre toutes les traditions, au contraire ! Dans son dernier album Mogoya, l’artiste évoque les relations entre les hommes, « la chaleur humaine africaine que l’on ne trouve qu’en Afrique » et qui se perd aujourd’hui à force de guerre et de conflits. Elle invite le peuple africain à « redescendre sur terre, pour savoir qui [il est] », à retrouver son humanisme et à sauvegarder certaines traditions et valeurs africaines qui « ne sont pas toutes bonnes à bannir ». Oumou Sangaré aime son pays, son continent et sa culture.
La sortie de Mogoya est prévue pour le 19 mai 2017, en attendant vous pourrez la retrouver sur la scène de la Grande Halle de La Villette au Festival 100% Afriques.
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