Samba Diabaré Samb, 90 ans, est l’un des derniers griots du Sénégal. L’Unesco l’a désigné trésor vivant et humain de l’humanité. Une info qu’ignoraient la plupart des Sénégalais, jusqu’à cette fameuse déclaration du directeur de Sorano, Massamba Guèye, lors de la présentation de l’album «Fatteliku» de Youssou Ndour. Itinéraire d’un dépositaire des traditions.
REBELLE. Nota Bene : Tout a commencé en 1934 à Sagatta, bourgade princière du Djolof où le roi Sidy Alboury Ndiaye prend ses aises dans son palais. Samba Diabaré Samb, môme de 10 ans, joue du «Xalam» en l’honneur du «Bourba». De sa belle voix, il demande au roi Sidy à quitter l’école française pour se consacrer à la chanson et au «Xalam». Le souverain, repu de belles mélodies, l’exhorte à se rassurer. «Tu ne seras plus jamais à l’école française, je ne sais pas ce qu’un Gawlo comme toi y faisait d’ailleurs», décrète-t-il, entouré de sa cour. L’anecdote est immuable, malgré le temps vivace qui passe. Elle révèle le portrait-robot rebelle de l’Homme. Le petit Samba savoure sa première victoire sur la vie. Un succès du culot. De la passion. De la révolte aussi, sur le blanc. L’artiste a aujourd’hui 90 ans et c’est un trésor humain vivant, une distinction de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco). «Je suis très honoré par la distinction de l’Unesco, parce que chacun dans le travail qu’il accomplit, souhaiterait avoir des distinctions du genre. Donc, c’est un motif de fierté que je partage avec le peuple sénégalais», souffle-t-il. Les trésors humains et vivants sont rares. Précieux pour leur époque. Ils se comptent sur les doigts de la main à travers le monde. Ils possèdent à un haut niveau les connaissances et les savoir-faire nécessaires pour interpréter ou recréer des éléments spécifiques du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. L’artiste traditionnel est le seul au Sénégal à porter un titre aussi prestigieux. Ou presque. Mais lui n’en fait pas tout un foin. Il ne court pas les honneurs. Il ne le dit jamais pour s’en vanter. Ou s’en gausser.
«Il a joué devant tous les grands Présidents du monde»
On retrouve l’artiste-compositeur de «Xalam» allongé sur un lit dans son domicile sis aux Hlm. Malgré une fracture du pied qui le cloue au lit, il est affable. Rieur. Positif. Ce jour-là, il porte un modeste boubou traditionnel bleu ciel, des lunettes correcteurs qui mangent un visage émacié et gagné par l’âge, une petite barbichette et un bonnet à la Amical Cabral. Samba Diabaré Samb est au repos. Mais son ami et compagnon, le «Xalam», n’est jamais loin de lui. Le son du «Xalam» est comme le rythme du battement de son cœur. C’est un géant qui se fait tout petit au contact des autres. Malgré son âge et une carrière musicale grandiose à fourguer le complexe à la jeune génération. Le vieil homme a tous les atouts d’une anti-star : Son ego est normé et il ne le ramène jamais. Massamba Guèye, directeur du théâtre national Daniel Sorano qui a lâché la grosse info sur le titre de trésor humain et vivant que lui a décerné l’Unesco sur la place publique, lors de la cérémonie de dédicace de l’album «Fattéliku» de Youssou Ndour, chante la modestie du vieil homme. «Samba Diabaré est le symbole de l’humilité artistique et sociale. C’est quelqu’un qui a joué devant les grands Présidents du monde et je pèse bien mes mots. Ce que je retiens de lui, c’est qu’il ne fait pas de fausses notes et il est d’une si grande humilité sociale et religieuse ! Ce qui fait que quel que soit le spectacle, à l’heure de la prière, lui va prier», assure-t-il. Ce vieil homme fait partie du cercle restreint des grands de ce monde, ce qui a fini par faire de lui un trésor humain et vivant de l’humanité. «Il est temps que le Sénégal inaugure une rue en son nom», plaide Massamba Guèye.
«Serigne Mouhamadou Mansour Sy m’a éduqué»
Samba Diabaré Samb allie vertu et charisme, souplesse et goût. Tant d’atouts qui font que l’on pourrait facilement le suspecter de fausse modestie, d’ascétisme poussé. Mais non. Ce griot, généalogiste réputé, est lucide quant à son succès, conscient de sa foi, vivifiée par ses valeurs tidianes. Lui qui revendique une place de choix dans cette grande famille religieuse et une proximité partout clamée avec Mouhamadou Mansour Sy, le père de Serigne Mbaye Sy Mansour de Tivaouane. «Ce marabout reste encore l’une de mes références, il m’a éduqué. C’est pourquoi dans ma carrière musicale, j’ai toujours évité de me mêler des futilités. Je ne courais pas les filles, je n’ai jamais fumé ni bu la moindre goutte d’alcool. J’ai toujours essayé d’avoir une vie saine et cela me sert beaucoup dans mes années de vieillesse», avoue-t-il. Et quand il le dit, il s’excuse presque de rogner sa carcasse. Il n’aime pas trop parler. Lui préfère donner la parole à son «Xalam». Très tôt, son doigté a tapé dans l’œil de tous et jusqu’à présent, des gens se tapent des kilomètres de vol pour venir le voir jouer dans des endroits sélects de Dakar. «Je continue toujours à jouer pour les clients du King Fahd Palace qui me sollicitent», révèle-t-il.
A 90 ans, cet homme continue encore de donner des offrandes de plaisir. Comme à l’époque de ses 17 ans. On est en 1942. Marième Sidy, la fille du roi Sidy Alboury tombe sous le charme de sa belle voix et de sa musique savoureuse décide de le faire découvrir à Dakar. Le jeune Samba tâte de ses yeux surpris les premières lampes électriques, les commodités d’une ville. Ensuite, il fait des séjours réguliers à Tivaouane, Saint-Louis. Son étoile commence alors à briller et à éclairer son chemin à travers le Sénégal. Alou Ndiaye, célèbre journaliste de l’époque qui animait l’émission Regard sur le Sénégal d’autrefois sur Radio Sénégal, le prend sous son aile. Lui se charge de déclamer l’histoire et Samba Diabaré de le rendre en «Xalam». L’émission fait un tabac. L’artiste n’a que 19 ans et un talent fou, inné. Tout Dakar est alors à ses pieds. Bientôt à l’aune de ses 20 ans, il prend l’avion pour rallier Lausanne (Suisse), les Etats-Unis lors du congrès des Américains noirs, Angleterre, Helsinki (Suède) des capitales européennes les plus improbables, Congo Brazzaville, Maroc…n’en jetez-plus ! «J’ai été stupéfié par cette merveille qu’est l’avion», admet-il. Partout dans ces pays, ses titres fétiches : « Niani », « Lagg Ya », « Galayabé », « Touti Diara »…sont des hymnes à l’amour, à la grandeur et à la bravoure. Puis, une fois l’indépendance acquise, Léopold Sédar Senghor féru d’art, décide de monter l’Ensemble national lyrique du Sénégal pour le confier à un nommé Sylla. L’ensemble instrumental enchante le continent, fait courir l’Europe. Mais au bout de 5 ans, le neveu du Président, Sonar Senghor, qui aimait les ballets plus que ses instrumentalistes traditionnels, gâte leur douce symphonie en sabotant leurs gammes. Samba Diabaré Samb, le rebelle, démissionne avec fracas, ensuite Lalo Kéba Dramé le suit, puis Soundjoulou Cissokho : tous les grands maîtres lâchent l’affaire. Ils vont ensuite mettre sur pied la Case. L’aventure de Samba Diabaré ne s’arrête pas et son aura, telle une étoile, continue de briller au firmament. Même si des drames personnels ont jalonné son existence.
LES DRAMES DE SA VIE. A l’âge de 32 ans, il se marie avec une dame du nom de Saly Ndiaye. L’idylle dure le temps d’une rose. Puis, l’artiste Samba Diabaré trouve l’amour auprès de Aïda Mboup, une parente à Sokhna Mboup Ndour, maman de la Méga-star Youssou Ndour et homonyme de sa petite fille Aïda Samb. Cela vous réunit la grande famille Gawlo. Après quelques années de vie en commun, d’un amour partagé, la grande faucheuse emporte Aïda MBoup. Samba Diabaré Samb est inconsolable. «Son décès m’a marqué. Je l’ai même évacuée en France, mais elle est décédée là-bas», avoue-t-il. Le temps passe, un ange aussi. Il convole à nouveau avec Tanta Mbaye, mais elle aussi meurt après quelques années de mariage. Ses drames donnent à sa musique un air de mélancolie, une tristesse émotive extrême, son « Xalam » fait sortir une sensibilité à fleur de peau. «Les décès de mes deux épouses sont les plus tristes jours de ma vie», dit-il, un brin gagné par l’émotion. Mais ses trois filles dont la mère de l’artiste Aida Samb, lui renvoient tout l’amour porté à ses épouses disparues. La Française Laurence Gavron qui a réalisé un documentaire intitulé : Samba Diabaré Samb, le gardien du Temple en 2006, n’est pas sortie indemne du contact avec l’homme. «C’est un sage qui a beaucoup d’éthique, il est calme, posé, il ne fait pas le malin comme certains griots de son époque. Surtout, ce qui m’a frappée chez lui, c’est que c’est un homme du patrimoine», témoigne la cinéaste.
«Abdou Diouf m’appelait Belle Voix»
Aujourd’hui, Samba Diabaré Samb vit sa vie de couple avec Seynabou Mbaye, la petite sœur de son épouse disparue Tanta Mbaye. Cela dure depuis décembre 1972. «Je souhaite longue vie santé de fer à Samba Diabaré, il m’a témoigné respect, amour. C’est un homme d’une grande bonté, d’une grande piété. On vit ensemble depuis 42 ans, on ne s’est jamais chamaillé», sourit son épouse Seynabou. Le couple n’a pas eu d’enfant. Mais cela ne gâte en rien leur bonheur. Difficile de prendre à défaut la vie de ce vieil homme réglée comme du papier à musique. Une vie monacale qui a amené la chanteuse Aïda Samb à comparer son grand-père à un soufi. «C’est parce qu’elle a vu comment je me comporte avec ma famille et pour cela, je rends grâce à Dieu», explique-t-il humblement. Ce trésor humain et vivant traîne une tache noire, il n’a pas d’héritier pour perpétrer son œuvre colossale. Cela ne le fait pas se morfondre dans son coin. «Entendre la voix de ma petite fille Aïda Samb suffit à mon bonheur», lâche-t-il avec le sourire.
Samba Diabaré Samb, malgré ses 90 ans, ne souffre pas d’asthénie, son appareil auditif reste intact, il marche avec des béquilles depuis qu’il s’est fracturé le pied il y a de cela trois ans. Il aime écouter Youssou Ndour, «qui a remarquablement repris un de mes morceaux», Baba Maal, «l’un des meilleurs de sa génération». Lui, dit détester les fainéants, les malhonnêtes et les soumis. On l’a vu rarement engagé pour le compte d’un homme politique. Lui, s’était lié d’amitié avec l’actuel secrétaire général de la Francophonie. «Abdou Diouf m’aimait beaucoup et je le lui rendais bien. Il avait l’habitude de m’appeler belle voix», sourit-il. Il n’en dira pas plus sur les autres hommes politiques. Ce réveille-tôt, qui raffole de riz à la viande et de « Thièré Guéwel », adore se promener le matin dans les rues des Hlm…Quand la douleur de son pied droit s’intensifie, il se laisse aller à des plaintes et des complaintes. Façon de montrer qu’il est encore humain…Il était temps.
MOR TALLA GAYE
Source : iGFM