C’est la même rengaine lors des élections présidentielles. Les artistes, d’habitude frileux et soucieux de leur carrière et de ne pas froisser leur public, n’hésitent pas à s’engager auprès de candidats. La méthode n’a pas encore totalement prouvé son efficacité mais pour les artistes concernés, ici les mastodontes Souleymane Faye, Ouza Diallo, Alioune Mbaye Nder et Mor Talla Guèye alias Nitt Doff, nul doute que les tubes créés ont participé, à faire tomber ou hisser leur candidat.
ALIOUNE MBAYE NDER, CHANTEUR, SOUTIEN DE ABDOULAYE WADE EN 2007
« Macky Sall a été le premier à écouter la chanson dédiée à Abdoulaye Wade »
« A l’époque, Macky Sall était premier ministre et directeur de campagne du président Abdoulaye Wade. Ce dernier devait se rendre en France pour récupérer un prix et comme je n’ai pas pu partir avec lui, j’ai décidé d’organiser un sargal pour son retour. Je suis donc parti vers Macky Sall pour lui demander de m’appuyer pour cette soirée. Abdoulaye Wade n’était pas au courant et ça a été une belle surprise sur lui. Après le succès de cette soirée, je suis retourné voir Macky Sall pour le remercier de son soutien. J’ai voulu lui rendre la politesse et en tant que directeur de campagne, il m’a suggéré de faire une chanson pour la campagne. J’ai donc chanté « Sargal Abdoulaye Wade » et ce morceau est devenu comme un hymne. C’est un soutien que j’assume parce que je demeurais convaincu que le président avait de la vision pour le Sénégal. Je l’ai donc soutenu sans rien attendre en retour. Malheureusement pour moi, beaucoup de Sénégalais n’avaient pas compris ce projet. La chanson a eu un impact positif dans la campagne pour le second mandat. En tant que musicien et porteur de voix, je pense que cela a joué dans la victoire. Macky Sall a été le premier à écouter la chanson à la fin de l’enregistrement, c’est lui qui l’a d’ailleurs fait écouter à Abdoulaye Wade pour la première fois. La chanson cartonnait lors des meetings, je faisais des tournées avec eux jusqu’en Europe. Je l’ai une fois chanté devant cinq présidents africains réunis au Mali. Malheureusement, les relations se sont ensuite distendues entre Macky Sall et Abdoulaye Wade et je ne savais plus où me mettre. Abdoulaye Wade a beaucoup fait pour moi mais c’est grâce à Macky Sall que j’ai connu en premier. C’est là que j’ai compris qu’il était peut-être mieux pour un artiste de garder ses choix politiques pour lui-même. »
MOR TALLA GUÈYE ALIAS NITT DOFF, RAPPEUR, SOUTIEN DE OUSMANE SONKO
« Ousmane Sonko ne m’a jamais appelé pour m’influencer»
« Je ne peux pas mesurer l’impact que j’ai ou pas, tout ce qui m’intéresse est d’être en adéquation avec mes idées. Les gens me connaissent engagé depuis plus de 14 ans. j’ai mené des combats et je suis indubitablement du côté du peuple. Je reste sur ce chemin. Si ça profite à Ousmane Sonko, ça veut juste dire que mes combats sont en adéquation avec ses idéaux politiques. C’est tant mieux parce que je me retrouve dans tout ce que dit et représente le leader de Pastef : la rupture, le patriotisme, le panafricanisme, le don de soi…Cela a toujours été mon combat. Maintenant, j’ai de la chance d’être crédible et d’avoir un public qui me fait confiance. Ils savent que je suis de bonne foi et en cela, bien sûr mes engagements politiques peuvent profiter à la cause. Sans que je ne puisse le mesurer pas parce que je n’ai pas cette prétention. Ce qui est bizarre et bien à la fois c’est que malgré tout, Ousmane Sonko ne m’a jamais appelé pour me remercier ou pour m’influencer dans mes positions. Ça aurait été un politicien opportuniste, il aurait utilisé ma position pour obtenir des faveurs. Une raison de plus de le respecter et de continuer à peser positivement même un tant soit peu sur son combat ».
SOULEYMANE FAYE, AUTEUR, SOUTIEN DE MACKY SALL
« J’avais le pressentiment que Macky Sall allait devenir quelqu’un d’important »
Lorsque Macky Sall a été radié de l’Assemblée nationale en 2008, j’ai composé la chanson « Macky bayilen niou wakh (Macky laisse-les parler) ». Je ne le connaissais même pas à l’époque mais, j’ai eu de la sympathie pour son histoire. Pour avoir demandé des comptes à Karim Wade, on a voulu l’humilier et je n’ai pas aimé ce traitement infligé à un être humain. Aussi, j’avais le pressentiment qu’il allait devenir quelqu’un d’important, cela m’étonne encore. Alors que je ne l’avais jamais rencontré. Quand on a fini par se rencontrer, il m’a dit qu’il écoutait tout le temps la chanson et que ça l’avait réconforté lors des moments difficiles. On a commencé à sympathiser à partir de là et nous sommes devenus de bons amis malgré qu’on ne se parle pas beaucoup. Mais cela dit, je ne suis pas très politique, je m’intéresse à mon pays et je m’informe de ce qui se passe. Je ne suis pas un griot, je ne fais pas de « samba mbayan », je ne peux que rendre hommage à quelqu’un qui a fait quelque chose de bien comme Mandela. C’est pour cela que plus tard, j’ai participé à un autre projet pour le soutenir. Je n’ai pas de problèmes avec les présidents, j’ai rencontré Senghor à Marseille, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade mais ce que Macky Sall a fait pour moi, aucun président ne l’a fait. Je ne lui ai rien demandé mais il m’a beaucoup donné. Il y a certainement des gens qui l’ont mal pris mais ça n’a jamais été source de véritable malaise. »
OUZA DIALLO, COMPOSITEUR, CONTRE ET ENVERS TOUS
« Le vote et Politicien ont vraiment contribué à faire tomber Abdou Diouf »
« Du temps des années chaudes sous Abdou Diouf, j’avais sorti la chanson «Rewmi». Elle m’avait été inspirée par un discours du juge Kéba Mbaye lors de la passation entre Senghor et Abdou Diouf où il disait à ce dernier qu’il héritait d’une situation difficile. J’ai surenchéri avec les paroles avec ce fameux refrain «Président, c’est t’abuser que de te dire que le pays va bien ». Ça avait eu un impact terrible sur le public et jusqu’à présent le tube m’est demandé lors de mes prestations. En ce temps-là, le multipartisme n’était pas très développé et c’était difficile de jouir de sa liberté d’expression donc cette interprétation avait fait feu et flammes malgré la qualité médiocre d’enregistrement. Plus tard, Abdoulaye Wade s’en était servi pour sa campagne en 1988 et je l’avais accompagné. Quand il a perdu, j’ai pris une pause du milieu politique. J’ai refait surface en 2000 lors de l’élection présidentielle décisive pour la démocratie sénégalaise. J’ai sorti un autre tube qui s’appelait «Politicien » dans lequel je m’en prenais à la multitude de partis et à la situation périlleuse dans laquelle les politiciens faisaient tomber le pays. À l’époque, j’étais avec Moustapha Niasse et il a fait partie de la coalition qui a porté Wade au pouvoir. Dans la même cassette, il y avait le morceau « Le vote » dans lequel j’incitais l’électorat à faire preuve de discernement malgré la corruption : « Si on te donne du pain, prends-le. Accepte le mil aussi mais refuse de voter selon leurs désirs ». Ces deux chansons ont vraiment contribué à faire tomber Abdou Diouf et à hisser Abdoulaye Wade au palais. Mais après des années de gouvernance, ce dernier a déçu les Sénégalais et j’ai à nouveau pris ma plume pour dénoncer dans le titre « Président » en 2012 où je disais que les gens ont assez mangé du slogan « Soppi ».
Je connaissais l’impact de ces tubes dans la politique mais j’en ai vraiment pris conscience le jour où je suis parti au Burkina Faso. J’étais avec Adjiouza dans le hall d’un hôtel lorsqu’un homme est entré. Tout le monde se ruait vers lui pour le saluer, je suis resté à ma place parce que je ne le connaissais pas mais lui a marché vers moi. J’ai appris plus tard qu’il était le secrétaire général du gouvernement de Faso. Il m’a interpellé, me disant qu’il avait étudié à Dakar et qu’il avait apprécié l’impact que j’avais eu en tant qu’artiste dans la révolution politique du Sénégal. Il tenait à me rendre hommage. Beaucoup de gens me montrent cette déférence et j’ai longtemps bénéficié du soutien de gens qui étaient là parce que c’était dur à l’époque, on vivait difficilement. C’est difficile de se battre contre un gouvernement. »
AICHA FALL