Refus de visas pour les artistes africains: une situation ubuesque

par | 21 novembre 2010 | Chroniques

Hier, deux artistes de la République démocratique du Congo sont arrivés en France avec une ou deux semaines de retard, suite à des refus de visa. De plus en plus d’artistes venus d’Afrique sont confrontés au parcours du combattant que constitue désormais la demande de visa.

La première s’appelle Marie-Louise Bibish Mumbu, auteur de deux spectacles programmés au festival des Francophonies en Limousin (Et si on te disait indépendant ? Nos 50 bonnes raisons d’espérer et Samantha à Kinshasa), attendue à Limoges samedi 18 septembre mais retenue depuis une semaine à Montréal, le consulat de France refusant de lui délivrer son visa.
Le second s’appelle Androa Mindre Kolo, artiste et performer diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa et des Arts Décoratifs de Strasbourg. Lauréat d’un Visa pour la création de Cultures France, il devait commencer une résidence de création à Paris le 9 septembre à l’invitation du projet Radio Songi Songi, initié à Belleville par Jean-Christophe Lenquetin et François Duconseille, du collectif SCUD2 (Scénographies Urbaines). Pour cette résidence de 6 mois, il n’a obtenu qu’un visa de trois mois. Charge à lui de passer bientôt une nuit d’attente à la préfecture de Bobigny pour le renouvellement…

Ubuesque ou kafkaien ? Les deux. Ubuesque si l’on considère le côté systématique et arbitraire des refus de visa opposés aux demandes d’artistes invités en France, le lot d’humiliations qu’il leur faut endurer, le coût des visas refusés et des billets d’avion perdus, le temps passé par les artistes et les programmateurs qui les accueillent pour trouver une personne susceptible d’intervenir en cas de refus. Kafkaïen dans la mesure où le nombre des papiers à fournir est à la discrétion des consulats et change au cas par cas, obligeant artistes et programmateurs à passer le plus clair de leur temps à régler les problèmes de visa.

« C’est tellement humiliant que je ne viendrai pas »

« Outre Marie-Louise Bibish Mumbu, raconte Marie-Agnès Sevestre, directrice des Francophonies, on a dû envoyer quelqu’un à Roissy avec tous les contrats de travail, chercher la troupe du chorégraphe congolais Didier Ediho, la police des frontières les suspectant d’avoir obtenu leurs visas par malversation. Souvent, les visas sont donnés au pied de l’avion, à la dernière minute, après toute une série d’humiliations. Nous avons aussi invité Jean-Pierre Guingané, du théâtre de la Fraternité de Ouagadougou, pour un débat d’artistes africains sur le thème : les artistes dans les indépendances.

C’est un homme de soixante ans qui a formé des générations d’artistes au Burkina-Faso et qui vient souvent en France avec des visas de circulation de trois ans. Cette fois-ci, le consulat de France de Ouagadougou l’a traité comme un gamin de 16 ans qui veut  fuir et il m’a dit : « C’est tellement humiliant que je ne viendrai pas. » »

« Les règles du jeu ne sont pas claires »

Le phénomène ne se limite certes pas à la France. Les Studios Kabako du chorégraphe congolais Faustin Linyekula sont attendus début octobre à Londres après leur passage aux Francophonies avec More More More Future. Mais trois des interprètes se heurtent à des refus de visa. « Une personne de la compagnie passe 80% de son temps à régler ces problèmes, nous dit Virginie Dupray, administratrice. Les règles du jeu ne sont pas claires, il n’y a pas de liste de papiers à apporter. Selon les demandes et les artistes, on va exiger une pièce qu’on n’avait jamais demandée  avant. Si tu n’as pas de relation directe et presque « personnelle » avec les consulats ou d’appuis dans le corps diplomatique européen, c’est extrêmement difficile de sortir.

Nous venons de nous faire refuser trois visas pour la Grande-Bretagne où nous jouons le 9 octobre au festival Umbrella. Nous avions posé à Kinshasa trois premiers dossiers qui ont été acceptés et les trois suivants, dont celui de Faustin Linyekula, ont été refusés alors qu’il s’agissait des mêmes pièces justificatives. Mais comme ces dossiers sont traités à Nairobi et qu’ils ne connaissent pas la compagnie… Le motif du refus : pas de justificatifs des revenus annoncés, soit des extraits bancaires, alors qu’au Congo, moins de 5% de la population a un compte en banque et qu’à Kisangani, la première banque n’a ouvert qu’il y a un an. Et c’est la troisième ville du pays ! C’est la première fois qu’on nous refuse un visa en 9 ans. » Un constat d’autant plus alarmant qu’il semble devenir la règle.

Francophonies en Limousin, du 23 septembre au  2 octobre. 05 55 10 90 10.

Radio Songi Songi

Article source : lesinrocks.com

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