Ouza DIALLO : « J’enregistrais mes cassettes en Gambie pour les faire entrer en fraude au Sénégal ».

par | 22 juillet 2009 | Interviews

Très engagé dans la vie politique sénégalaise, Ouza DIALLO que nous appelons affectueusement Père Ouza, nous a reçu dans son domicile de Hamo IV. En pleins travaux, cette demeure abritera bientôt le studio « Mam » initié dans le cadre de la « Musique aide la Musique ». Père Ouza nous a parlé de son parcours, de ses projets et de son indignation face aux problèmes rencontrés aujourd’hui par la musique sénégalaise. De sa première formation, « Ouza et ses ouzettes », à la « Génération 6 heures », dernière en date, Père ne compte pour sa part pas abandonner la musique sénégalaise de sitôt…

Dakar Musique : Père Ouza juste un bref retour sur votre parcours ?
Je dirai d’abord que je suis un vieux qui joue depuis longtemps. Lors de mon récent voyage en Gambie avec ma fille, Adiouza, je lui ai fait remarqué que ça fait maintenant trente-sept ans que j’emprunte cette route – je ne connaissais même pas encore sa maman lorsque j’ai commencé. Je suis donc réellement un ancien de la musique sénégalaise ! Sinon je suis rufisquois, toucouleur, originaire du Massina. Je suis issu de la famille du vénéré El Hadji Malick SY. J’ai commencé la musique après l’obtention de mon certificat d’études dans les années cinquante. Cependant, mon père ne l’entendait pas de cette oreille et il m’a fait venir à Abidjan. Son intention était de me sortir de la tête l’idée de faire de la musique – ce fut une erreur, puisqu’en réalité, c’est précisément en Côte d’ivoire que j’ai débuté ma carrière musicale. J’ai débuté avec l’orchestre « Las ondas » composé de béninois, de maliens et de sénégalais. J’ai travaillé avec eux de 1965 à 1967, puis j’ai intégré l’orchestre national, où j’ai travaillé pendant cinq ans. En 1972, je devais faire une tournée européenne et je suis allé faire mes adieux à mes parents au Sénégal. Je n’en suis jamais reparti. Je me suis finalement résigné à rester au Sénégal et les chorégraphies que j’ai découvertes à Abidjan m’ont permis de révolutionner la musique sénégalaise. J’ai été très influencé par de grands chanteurs comme Rochelo (Rochelo et ses Rochelais), qui a un jour affirmé « Ouza sera un grand chanteur » : j’ai créé Ouza et ses Ouzettes d’après son modèle. Voilà donc un bref résumé de mon parcours.

Dakar Musique : Nous allons donc continuer avec les différentes formations dont vous avez été à l’origine.
Oui, ainsi que je l’ai dit, la première formation a été « Ouza et ses ouzettes » que j’ai constituée en 1972. Elle a duré jusqu’en 1975, mais avec la censure dont elle a fait l’objet, ça n’a pas eu l’effet escompté. J’ai continué avec le groupe « Quatre femmes dans le vent » avec les Fatou Talla NDIAYE, Khar MBAYE et autres en 1977. Puis en 1978, avec Baaba MAAL et Ndiaga MBAYE, nous avons formé le « Gouney Ngaye », qui était une sorte d’événementiel – le Gandiol a suivi juste après. De1982 à 1984, j’ai été le Directeur de l’ensemble lyric de Sorano avant de démissionner de ce poste pour travailler avec l’orchestre national. En 1989, je me suis exilé aux Etats-Unis d’Amérique, et à mon retour en 1995, j’ai formé « Ouza et ses filles branchées » avec les Schola NDIAYE. En 1997, on jouait de la variété avec la formation de Ndèye Fatou NIANG et de Jocelyne. Celles qui ont le plus bénéficié de mon expérience sont sans doutes les fille  du « Soul ndiagamares », avec les  Diara GUEYE et Mamy SANE. Ensuite, il y a eu « Ouza néné » qui est la formation des Cheikh LÔ (fils de Ouza) et de Adiouza. Et La dernière en date, c’est « Génération 6 heures ».

Dakar Musique : Comment se porte cette formation « Génération 6 heures » ? Annonce –t’elle l’ère d’une nouvelle génération de formations ?
Beaucoup de gens, comme ceux issus de la génération des « khourdabs », continuerons probablement à y être réfractaires (Rires). Mais, oui je crois bien que d’autres suivront : je crois beaucoup en la formation des jeunes.

Ouza DIALLO : "J’enregistrais mes cassettes en Gambie pour les faire entrer en fraude au Sénégal".

Dakar Musique : Vous avez parlé de la formation « Ouza néné », dont font partie vos enfants Cheikh LÔ et Adiouza. Vous jouez encore avec eux ?
Ils ne font plus partie de mon groupe, mais sur le plan international on joue encore ensemble. Par exemple dernièrement je jouais en Gambie et c’est Adiouza qui est venue me prêter main forte sur scène. C’est comme ça que nous faisons quand on se rencontre hors du Sénégal.

Dakar Musique : Père Ouza, le Sénégal vous connaît en particulier pour votre engagement politique. Que pouvez-vous nous en dire ?

J’ai mes principes, c’est par philosophie que je suis engagé. Je n’étais pas d’accord avec le Président SENGHOR sur le plan social, mais j’étais en agrément avec lui sur le plan politique et culturel. Je n’étais pas non plus en accord avec le Président Abdou DIOUF. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait rire lorsque j’ai vu Dié Maty,  la fille d’Alioune FALL, en vraie révolutionnaire à la télé. En effet, c’est son père qui censurait ma musique, parce que pendant longtemps on brûlait mes cassettes dans ce pays. J’ai dit au Président SENGHOR : « Nassaran bou nioul, lou xel bi rey rey, xelbi toubab bé ko mom » (Aussi long que soit le séjour du baobab dans l’eau, il ne se transformera jamais en crocodile). Celle qui a osé à l’époque passer ce tube à l’antenne, c’est Daba AW, et elle a été suspendue de « Radio Sénégal ». Et au Président DIOUF, j’ai dit : « Président bougnou né la rewmi nexna daniou lay nax » (Président, si on vous dit qu’il fait bon vivre dans ce pays, on vous trompe). Il fallait vraiment de l’audace pour tenir tête aux gouvernements, c’est par ailleurs ce qui explique que j’enregistrais mes cassettes en Gambie pour les faire entrer en fraude au Sénégal. C’était une période durant laquelle j’étais si recherché que les gens ne voulaient même pas que je vienne à leurs cérémonies. Je vous dis ça pour que vous compreniez que si je suis apolitique, je suis également  un révolutionnaire contre le système de gouvernement mis en place. Quand j’ai chanté « Baay » à l’adresse du Président WADE lorsque Idrissa SECK était en prison, beaucoup de sénégalais n’ont pas compris. Lui, si. Je m’explique, lors des élections de 1988, j’étais quasiment le ministre de la Culture de Me WADE : Idrissa SECK était venu me voir pendant la campagne électorale pour me proposer une tournée avec le PDS dans tout le Sénégal. Comme j’étais apolitique j’ai proposé de couvrir les soirées qu’ils donnaient après les meetings, moyennant  une somme de six cents mille francs CFA. Lorsque notre caravane est arrivée à Saint, Idrissa SECK a voulu que je joue pendant le meeting, chose que j’ai refusée car cela ne faisait pas partie de notre contrat. Je me rappelle qu’il pleurait dans la voiture, et il m’a  proposé d’augmenter la somme de 600 000 à trois millions de francs CFA. J’avais alors posé la condition de voir WADE et de lui parler de vive voix. Lorsque je l’ai rencontré à Bignona chez  KANE, il m’a demandé ce que je voulais qu’il m’offre. Comme vous l’imaginez, ma vie c’est la musique, alors je lui ai demandé du matériel de studio.

Après cette élection  de 1988 j’étais tout le temps avec eux, d’ailleurs l’hymne de Me WADE, « Calot bleu, Calot bleu »,  a même été remplacé par « Africain, Africain » après l’alternance – c’est dire si j’ai fait du chemin avec ces gens ! Donc le morceau « Baay » a été écrit pour rappeler qu’Idrissa SECK s’est battu pour ce parti. Quant à moi cette union m’a coûté cinq mille francs CFA pour chaque minute de retard à Sorano : mon salaire devenait de plus en plus réduit, au point que j’ai dû quitter les logements de la SICAP pour m’installer ici à Hamo. Aucun retard de paiement n’était toléré. Pour essayer d’empêcher  la perte  ma maison de la Sicap j’ai dû aller en justice. Et Lorsque je suis passé devant le tribunal, mon avocat dormait et n’avait pas pu venir à temps à l’audience pour plaider ma cause. J’ai donc perdu le procès et ma maison. C’est ainsi qu’en 1989, Jean COLIN est venu me proposer la somme de vingt millions de francs CFA, pour chanter le Président DIOUF. J’en ai parlé ouvertement à mes amis er l’un d’entre eux m’a dit que : « vingt millions n’était pas suffisant pour vendre son âme au diable et m’a suggéré de demander cent millions de francs CFA avant d’abandonner à jamais la musique pour avoir trahi mes idéaux ». J’y ai réfléchi et je me suis rendu compte par moi-même que ça n’en valait pas la peine. J’ai néanmoins été reçu en audience au palais par le Président DIOUF en 1994, et je dois dire que c’est un grand républicain. Au terme de notre audience, il m’a affirmé que j’étais le seul à m’être montré honnête, et m’a demandé de continuer mon combat étant donné que j’étais encore jeune. Il souhaitait faire un geste pour moi, mais ses proches ne l’ont pas laissé faire. Je me souviens avoir prédit à Tanor DIENG qu’ils allaient perdre les élections suivantes, tout simplement parce que le pays ne les aimait plus. Certains pensaient que j’étais avec WADE en 2000, mais j’étais en réalité plus proche de Moustapha NIASS. Beaucoup de responsables du PDS misaient sur l’alliance avec NIASS, c’est ainsi qu’entre les deux tours, WADE avait organisé un grand show mais malheureusement, il n’y avait presque personne. WADE m’a même accueilli par un : « Ô mon sauveur est venu » quand il m’a vu débarquer. Ma fille Adiouza a même une photo sur laquelle le Président WADE la tient sur ses genoux lorsqu’elle était toute petite.
Vraiment entre moi et la politique, c’est une très longue histoire. Et ce n’est pas fini !

Ouza DIALLO : "J’enregistrais mes cassettes en Gambie pour les faire entrer en fraude au Sénégal".

Dakar Musique : Depuis un certain temps vos chansons paraissent pourtant moins politisées, parlant plutôt d’amour comme les  tubes « 20 ans » ou encore « 6 heures ».
Je dirais que ces morceaux développent des faits de sociétés. « Vingt ans » par exemple est un souvenir : c’est l’histoire d’une jeune fille qui m’a abordé pour me dire qu’elle m’aimait d’un amour sincère. Comme j’avais une casquette et un blouson, je pense qu’elle m’a cru jeune, alors je lui ai demandé de bien me regarder : j’aurais pu être son père ! C’est ce qui m’a inspiré dans ce morceau et qui m’amène à dire « so bougué niou and dem noci, délo ma samay 20 ans » (Si tu veux qu’on sorte ensemble, redonne-moi ma jeunesse c’est-à-dire l’âge de 20 ans). C’est au mois de juin que je suis le plus inspiré. Pendant l’été, ce genre d’histoires me revient, je le dis souvent. Pour ce qui est de « Six heures », c’est une autre anecdote qui m’a inspiré. Un jour, j’ai revu une vieille amie qui m’a annoncé son divorce après trente ans de mariage. J’y ai pensé et j’ai conclu en me disant que les hommes sont vraiment méchants quelques fois. Alors j’ai commencé à composer un titre sur le mariage. C’est à ce moment qu’un couple que je connais et qui est en Gambie traversait une impasse. Cette fois-ci c’est le mari qui m’explique son calvaire : sa femme ressemblait à un homme tellement elle lui rendait la vie impossible – avec des agressions verbales à n’en plus finir. J’ai donc pensé à la première histoire et ce contraste me donnait exactement ce que je cherchais : j’ai ajouté au morceau que j’étais en train de composer cette nouvelle histoire. J’avoue qu’on l’a répété du début à la fin avant de trouver le titre, six heures, qui chez un homme symbolise l’érection – mais je ne pouvais pas le dire ainsi. Néanmoins j’ai bien dit : « six heures et demi arrangé woula » c’est-à-dire que, pour la femme, ce qui est important c’est que son homme soit à l’heure. Je vous laisse deviner le reste : un homme c’est vraiment comme une montre ni en avance ni en retard, juste à la bonne heure.


Dakar Musique : Quelle opinion avez-vous de la musique sénégalaise ?

Elle stagne depuis longtemps et je pense que ce phénomène est dû surtout à la prolifération des boîtes de nuit. Si un artiste joue toute la nuit jusqu’au petit matin à une soirée et qu’il rentre se coucher à sept heures, pour ne se réveiller qu’aux environs de seize heures, comment voulez-vous qu’il soit inspiré ? Je me demande bien où est ce qu’il pourra trouver l’inspiration ? Un artiste c’est avant tout de l’inspiration, c’est tout ce que peut lui permettre d’évoluer et d’apporter toujours quelque chose de nouveau. A un moment donné une vague d’émigrés est venue « prostituer »  la musique sénégalaise. Ils sont venus en vrais businessmen et lorsque celle-ci s’étouffait, ils sont tous repartis comme ils n’étaient pas musiciens. Ceux qui le sont réellement sont restés au Sénégal pour continuer la promotion de cette musique. En plus de ces difficultés, nous pouvons parler aussi de la limite des arrangeurs, nombreux d’entre eux travaillent uniquement pour l’argent et ne font pas un bon travail. Ils ne maitrisent souvent pas bien l’écriture de la musique et connaissent seulement le marimba, ce qui les amène à tomber dans la facilité.

Dakar Musique : Sur quoi travaillez-vous en ce moment et quels messages désirez-vous faire passer aux jeunes artistes ?
Je travaille sur le projet « Mam », c’est-à-dire la « Musique aide la Musique » dans le cadre duquel le studio encore en chantier abritera des échanges culturels et des ateliers de musique par le biais du bénévolat. Je suis en même temps le Président de la Commission Nationale de la Musique du FESMAN 2009. Quant aux jeunes je leur demande d’aller apprendre la musique, quitte à aller dans des conservatoires, car il le faut pour exceller dans ce domaine. La virtuosité ne dure pas longtemps et tant qu’ils ne le comprendront pas, ils seront toujours dans l’erreur. Moi ma longévité dans la musique s’explique par le fait tout simplement que j’ai compris. J’ai compris qu’en plus du talent, de la virtuosité, il faut faire des études et même de hautes études musicales. C’est pourquoi ceux qui l’ont compris et ont appris la musique, aussi difficile que soit cette époque, trouvent toujours du travail. Parce qu’ils ont les aptitudes requises. Dans le morceau « 4X4 44 », j’ai utilisé la technique Question-Réponse, c’est une méthode que même de grands arrangeurs ignorent, et que moi j’ai appris au cours de ma formation au Canada. Je peux dire que c’est ça qui fait la force d’Ibou NDOUR, il a une grande ouverture dans ce domaine. Je dis donc : « à vos études ! » à tout le monde.

Entretien réalisé par Ndeye Mané TOURE

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