Mao Sidibé « C’est ce faux débat entre real et fake qui freine la marche du hip hop. »

par | 16 janvier 2014 | Rap Galsen

Auteur, compositeur, interprète, réalisateur de vidéo-clip etc. Mao Sidibé est un artiste aux multiples facettes dont le travail remarquable est loué par tout un chacun. Au Sénégal depuis quelques mois, dakarmusique.com s’est rapproché du meilleur beatmarker sénégalais pour un entretien inédit.

Dakarmusique.com : bref retour sur votre parcours !
C’est toujours bien de se présenter parce que je suis loin d’être bien connu. Mao a commencé par la danse avec ses camarades de classe et s’est professionnalisé avec oscar des vacances dans les années 1994. Par la suite, sous influence des groupes de rap que sont le Daraji Family, Pee froiss etc. le virus du rap nous a contaminé et on a commencé à allier les deux avec notre groupe BBC Sound System (Best of the Best Community). C’est ainsi qu’on a effectué un voyage en France pour ensuite revenir avec un album « thioukouly » (Rap / Salsa).  Malheureusement on devait y retourner et ca n’a pas facilité les choses. J’ai continué à faire mes études et, avec la rencontre de Louis Attaque, nous avons embrassé toutes les sortes de musique, reggae, blues, électronique etc. Cela nous a plu et nous avons fait d’autres concerts avec lui. Nous avons fait ensemble de grande scène comme le zénith de Paris avec de nombreux prix.   Ce qui a abouti au second album (folk-wolof) avec le groupe Ben’Bop dont le noyau était au nombre de 4 à savoir  Kadou (BBC Sound System/ No Bluff Sound), le producteur de rap Vincent Stora et le violoniste de Louise Attaque, Arnaud Samuel et moi.

Dakarmusique.com : depuis combien de temps avez-vous emprunté les rouages qui mènent au solo ?
C’est après la dislocation du groupe que j’ai commencé à travailler en solo il y a de cela deux ans. Et je me suis dit que c’est le moment de mener une carrière solo.

Dakarmusique.com : vous avez eu à épouser différent genres musicaux qui vont du hip- hop au blues en passant par le reggae, l’électronique, le rock etc. qu’avez-vous appris de ces différentes expériences musicales ?
Ces différentes connaissances acquises  m’ont permis de mieux m’enrichir dans la diversité. Si vous faites bien attention à mes productions, vous ressentirez l’influence de ces multiples compétences qui se manifestent avec le mélange des sonorités du hip hop, du pop-rock, du reggae etc. De plus, il parait que mon arrière arrière grand père était du Mali, ce que j’ai su récemment, ce qui justifie un peu aussi la touche malienne (blues mandingue) dans mes compositions artistiques.       

Dakarmusique.com : qu’est qui explique le retard dans la sortie de votre album solo qui se fait désirer ?  
Parce que je prends mon temps et c’est vrai aussi que le travail que je fais  pour les autres ne me laisse pas du temps pour me consacrer à moi- même. Je ne peux pas penser à moi-même alors que je travaille sur le produit d’un autre. Ce qui fait que c’est souvent entre deux rendez- vous que je profite pour travailler sur mon projet ou bien quand j’ai un peu de temps. Aussi c’est difficile de travailler seul, j’ai besoin actuellement de gars pour venir arranger ma musique et lui donner une couleur. Quand je travaille sur le produit d’un autre, je sais quand c’est bon et j’ai souvent tendance à leur dire : c’est bon, il n’est plus besoin d’y ajouter quoi que ce soit. Par contre, quand il s’agit de mon produit, je n’arrive pas à me limiter, ce qui fait que je ne cesse de faire des changements. J’ai besoin que les gars fassent pour moi ce que je fais pour eux en me disant : stop, c’est bon.

Dakarmusique.com : vous travaillez sur un projet d’album actuellement, peut-on en savoir davantage ?
Le plus important pour moi actuellement c’est de faire des scènes pour pouvoir présenter mes produits au public et voir leurs réactions. C’est la raison pour laquelle je privilégie les spectacles bien que l’album n’est pas encore disponible. Ceci va me permettra de voir le niveau des arrangements et je vais pouvoir sentir que c’est plus simple de chanter telle ou telle partie de cette manière plutôt que d’une autre. Il y a une grande différence entre chanter au studio et performer sur scène et j’ai envie de me rapprocher le plus possible du naturel.

Dakarmusique.com : Mao school est plus connu en tant que beatmarker qu’en tant qu’artiste chanteur, cette situation ne vous dérange-t-elle pas ?
Non du tout, c’est comme une autre casquette hip hop que je porte. Quand on dit Mao school c’est plus coté hip hop parce que c’est Nit doff qui m’appelait ainsi et c’est partie. Au début c’était juste Mao mais maintenant j’ai plusieurs nom : Mao school est le beatmarker, Mao Producteur (MP) est le réalisateur et Mao Sidibé est l’artiste chanteur (rires).

Dakarmusique.com : quelle est l’histoire du cordon qui lie Mao school au beat ?
Comme je l’ai dit tantôt, c’est Vincent Stora qui nous faisait les compositions au début. Mais il se trouve que j’avais énormément de problèmes pour lui faire comprendre ce que je voulais vraiment. Alors j’ai emprunté une machine pour matérialiser les idées que j’avais et c’est partie.  Mais c’est un concours en France qu’un ami m’a poussé à faire qui m’a propulsé en fait. On était au nombre de 64 et, comme je n’avais aucune expérience, j’ai été éliminé dés le début. La providence a fait que je sois la seule personne qui devait être repêchée. Je me suis dis que j’allais saisir à fond cette seconde opportunité et, le fait que les gens s’attendaient à ce que je produise des beats aux sonorités africaine avec de la kora, du balafon etc. alors que ce n’était pas ce que je voulais faire, me motivais davantage. C’est ainsi que je me suis mis à trimer comme un fou, avec une volonté inébranlable de bien faire, de 08h à 21h chaque jour que dieu fait. C’est dans cette époque que j’ai fais la connaissance de killah qui appréciait les beats que je faisais.  Au finish, j’ai remporté la compétition et depuis je continue à produire des beats.

Dakarmusique.com : il se dit que Mao school fait de la ségrégation parce qu’il réserve  les meilleurs beats à Killah ?
(Rires) Sérieusement il n y a que killah qui veut de ces beats dont on parle. Quand Nit Doff vient au studio, il me demande de lui ressortir tous les beats qui sont dans la corbeille, les beats dont personne ne veut. Il fait son choix, pose sa voix, et me laisse faire mon travail. Il a le don de lire ce que je veux en produisant tel ou tel beat et le rapport de confiance qui nous lie favorise le reste. Je propose à killah les mêmes beats que je propose à tout le monde.  

Dakarmusique.com : parmi les beats que vous avez produit, lesquels vous ont le plus marqués ?
(Hésitation) Cela ne va pas être facile dans la mesure où j’adore tous mes beats.  Mais je peux dire que se sont les beats auxquels je n’avais accordé aucune importance en les produisant, qui sont le plus souvent fruit de la rigolade. Je peux citer le beat de la chanson « Freestyle » du premier album de Nit Doff parce qu’on  était au studio à faire des délires et le résultat est là.   L’autre c’est le beat de « fokk ma lathie » du dernier album de Killah également qui est le beat que Pape Sidy Fall de la 2STV m’a demandé de produire dans son émission. Nit Doff était venu, il a écouté le beat, et m’a dit : il faut que je pose dessus.  Donc mes beats favoris sont des beats venus au feeling sans grande attention particulière.

Dakarmusique.com : au-delà du beatmarker et de l’artiste chanteur, quelle autre casquette porte Mao ?
Je peux dire le réalisateur de vidéo clip, ce n’était pas quelque chose de voulu mais ca revient encore à killah. Nous avons fait la chanson « We Back » et le gars qui devait tourner le clip nous a lâchés au dernier moment. Comme Killah devait venir au Sénégal et qu’on n’avait pas encore de clip, je lui ai dit qu’on va emprunter une caméra, tourner le clip et essayer de trouver un monteur après.  A la fin du tournage on n’avait pas quelqu’un pour le monter. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer et je me suis mis à apprendre sur le net. Killah m’a fait confiance, m’a accordé du temps et nous l’avons fait. J’en ai fait d’autre à des amis et, petit à petit, c’est devenu mon job.

Dakarmusique.com : quels sont les artistes à qui Mao school fournit des beats ?
Il y a Nit Doff, PPS, Books, Keur Gui, Nix pour son prochain album, Simon, Gladiator, Abass Abass, Checky Blaze etc. j’ai fait la chanson de Canabasse également « Khar Mou Jot ». Petit à petit je commence à travailler avec d’autres comme Dread Skeezo etc.

Dakarmusique.com : quelle appréciation faites-vous de la situation du rap galsen ?
Il fut un temps on était troisième mondiale mais nous nous sommes endormis sur nos lauriers et les autres sont passés devant nous. Il y a des gens qui persistent à dire que nous sommes toujours troisièmes mais c’est faux. On nous a dépassé parce qu’on se focalisait sur les textes quand les autres travaillaient leur musique. Il est arrivé un moment ou il suffisait juste de taper sur une casserole pour que les rappeurs y posent des textes riches, pleins de sens et en wolof. Seulement il n y avait que nous pour l’écouter. C’est dire qu’à un moment donné, on a oublié la musicalité dans le rap. Avec plus de musicalité, notre rap peut atteindre des contrés démesurés et je pense que nous sommes sur la bonne voie.  

Dakarmusique.com : pensez-vous que le débat entre real et fake ou hard musique et soft musique  a lieu d’exister dans le rap galsen ?
 C’est ce faux débat entre real et fake qui freine la marche du hip hop. Les artistes ont donné au public un pouvoir décisionnaire inouï qui fait que nous ne sommes plus libres de faire ce que nous voulons du fait de la pesanteur du public. Il faut que les artistes se démarquent  de la foule, qu’ils fassent ce qu’ils sentent, et le public suivra naturellement. De plus beaucoup qui utilisent ce langage ne savent pas ce que cela veut dire. Il faut de la diversité dans le rap parce que si tout le monde emprunte le même chemin, il risque d’y avoir un embouteillage.  

Dakarmusique.com : que pensez-vous de la nouvelle société de gestion collective dont le bureau du conseil d’administration a été formé récemment ?
Je pense que c’est une chose à saluer et j’espère juste qu’ils ne vont pas décevoir. Je suis allé à l’assemblé générale mais j’avoue que c’était chaud (rires). On prie juste pour que la transparence y règne et qu’ils feront correctement ce que tout le monde attend d’eux. Une chose est sur et certaine, on ne va pas les laisser faire du n’importe quoi.   

Dakarmusique.com : en tant que citoyen, comment trouvez-vous la situation politico-économique du pays ?
Comme tout le monde, je dis que « deuuk bi daffa macky ».  Toute transition est difficile et c’est un lourd fardeau que d’être président. Donc on va lui accorder encore du temps et, à la fin des 5 ans, on verra ce qu’il y a lieu de faire.

Dakarmusique.com : si Mao était Ministre de la culture du Sénégal, qu’allait-il faire pour aider les artistes ?
(Rires) je ne sais pas parce que je ne suis pas ministre de la culture. Mais la première des choses à faire est de voir comment les artistes pourraient gagner de l’argent à partir de leur art. Les artistes sont obligés de se trouver un autre boulot pour pouvoir joindre les deux bouts  parce qu’ils ne parviennent pas à vivre de leur art. Les seules qui s’en sortent sont les mbalakh men parce qu’avec leur griotisme, les gens leur donnent des sommes colossales avec bien d’autres faveurs. Nous les rappeurs on ne croit pas en ces choses bien que je peux t’assurer qu’il y a des gars qui songent à faire du «  samba mbayane » pour s’en sortir (rires). Donc les rappeurs sont les plus fatigués parce qu’ils ne bénéficient pas des nombreux avantages au même titre que les autres.

Abdoulaye Diaw, Dakar Musique
[email protected]

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