Débat : La musique sénégalaise face aux mutations

par | 13 juillet 2010 | Webnews

Absence de statistiques, mercantilisme à tout va, errance statistique. Autant de maux qui gangrènent l’environnement musical et qui ont été passés au crible par le sociologue Dr Saliou Ndour lors d’une conférence à la Place du Souvenir Africain.

Sous l’égide du ministère de la Culture et des Loisirs et dans le cadre du cycle des grandes conférences, la Place du Souvenir Africain a accueilli vendredi dernier un débat sur le thème : « L’industrie musicale au Sénégal : mutations socioculturelles et transformations économiques ». Le sujet a été développé par Saliou Ndour, docteur en sociologie, chargé de cours à l’université Gaston Berger de Saint Louis, auteur d’une thèse sur la question. Partant du postulat sociologique, il s’est attardé sur la notion d’industrie culturelle, un concept forgé par Adorno et Max Horkheimer, les deux membres fondateurs de l’école de Francfort (sciences de la communication). Ils estimaient que la notion de « culture de masse », qu’ils héritaient d’Elias Canetti, n’était guère apte à décrire la nouvelle donne. La théorie de l’industrialisation de la production culturelle a été élaborée dans la Dialectique de la raison, ouvrage dans lequel ils affirment que la diffusion massive de la culture met en péril la véritable création artistique.

La thèse d’Adorno est que le monde entier est structuré par l’industrie culturelle (la culture de masse) qui est un système formé par le film, la radio, la télévision. L’industrie culturelle tend non pas à l’émancipation ou à la libération de l’individu, mais au contraire à une uniformisation de ses modes de vie et à la domination d’une logique économique et d’un pouvoir autoritaire. C’est en cela que l’industrie culturelle participe d’une anti-Aufklärung (en allemand analyse critique).

Selon les deux penseurs allemands, la « culture » propagée par l’industrie culturelle n’est pas quelque chose d’extérieur à l’existence de l’individu. Elle semble concerner uniquement ce qui relève du loisir ou du divertissement, mais c’est là qu’elle exerce, en réalité, son emprise la plus forte. On croit échapper dans le divertissement au processus de travail, mais en réalité, c’est dans le divertissement que l’individu est préparé et discipliné par l’industrie culturelle pour l’affronter. Et les deux spécialistes de la communication de dénoncer l’irruption de l’économie dans la culture, singulièrement le caractère mercantile de la musique. Pour le sociologue sénégalais, il s’agissait de voir comment en faire une valeur d’échange multiple et effective en conciliant une logique économique et une logique culturelle.

Errance statistique

Posant un regard critique sur l’environnement musical sénégalais, le Dr Saliou Ndour estime que le secteur de la musique est en panne, d’autant plus qu’ « on assiste à une errance statistique avec un manque criant de chiffres », relève le sociologue. Et là, « c’est l’arbre qui cache la forêt car bon nombre d’artistes peinent à vivre de leur art et à se faire produire », même si la logique économique l’emporte sur le volet culturel. Au Sénégal, rappelle-t-il, l’industrie musicale a connu dans les années 1980 un essor avec le développement des studios d’enregistrements à l’image du Studio 2000 d’El Hadji Ndiaye.

Chemin faisant, dans les années 1990, le secteur générait beaucoup d’argent. De surcroît, derrière les apparences de continuité se cachaient des mutations, à partir de présupposés changements sociaux, notamment avec la mobilité sociale et la « décastification ». Pour le sociologue, on assiste alors à un déplacement des individus dans la hiérarchie sociale. La musique n’était plus l’apanage des griots ou autre « castés ». « Dans cette volonté d’ascension sociale, il y avait beaucoup d’appelés, mais peu d’élus », observe le Dr Ndour. On pensait même que l’industrie musicale avait pris son envol, mais actuellement elle est en panne, note-t-il.

A son avis, ces difficultés se résument en quelques maux : étroitesse du marché, frénésie des produits musicaux, faiblesse du pouvoir d’achat et profusion de la bande Fm. Pour sortir de ce cadre informel, l’universitaire conseille l’exploration, la vente et la consommation par le biais d’internet. « Une lutte efficace contre le piratage des produits musicaux et un effort de soutien au développement de l’industrie culturelle en général et de l’industrie musicale en particulier placeraient notre pays dans une nouvelle voie », estime Saliou Ndour. L’universitaire caresse l’espoir de voir une ville comme Saint Louis se développer grâce à la musique, à l’image de Nashville, dans le Tennessee (Etats Unis). En effet, cette agglomération s’est faite un nom grâce à la musique country.

El Hadji Massiga FAYE

Source : Lesoleil.sn

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