Binetou Sylla, manager du label Syllart Records aux artistes sénégalais : « envoyez-nous vos maquettes (…) on a besoin de sons neufs et frais ».

par | 8 août 2014 | Interviews

Binetou Sylla, fille ainée de feu le producteur sénégalais Ibrahima Sylla, est dirigeante depuis bientôt 2 ans du Label africain basé à Paris Syllart Records. Dans cette interview accordée au site et web radio DakarMusique.com, Binetou nous parle à cœur ouvert du label Syllart et de ses projets, de la musique africaine, des défis à relever entre autres sujets. Entretien !

Dakarmusique.com : quelles sont les musiques qui vous ont le plus influencées durant votre enfance ?
Les musiques qui m’ont le plus influencée ou du moins pour lesquelles je garde une grande affection de mon enfance sont les musiques congolaises et les musiques cubaines qu’on écoutait beaucoup à la maison.

Dakarmusique.com : n’est-ce pas un lourd fardeau que d’hériter du plus grand label de production africain ?
Non ce n’est surtout pas un fardeau, bien au contraire c’est une fierté, un plaisir ! Je le prends comme un challenge et comme j’ai eu la « bénédiction » de mon père, je suis très cool sur « le poids de l’héritage ». Pour moi seul le travail paie donc mon travail parlera pour moi.

Dakarmusique.com : qu’est-ce qui explique le passage de Syllart Production à Syllart Records ?
Avec mon père, lorsque je suis officiellement devenue directrice de Syllart Productions, on s’est dit que pour marquer le coup il fallait rebaptiser la structure. On a juste repris le nom du label tel qu’il était dans les années 80. Comme on peut le voir inscrit sur les vinyles et les disques entre 1984 et 1991. Je n’aurai jamais pu, de moi-même, changer le nom sans l’assentiment de mon père. Et puis on s’est dit que ça sonnait plus international, que c’était un retour aux origines. C’est exactement pour les mêmes raisons qu’on avait aussi décidé de reprendre l’ancien logo Syllart Records.

Dakarmusique.com : qu’avez-vous eu à faire comme innovation depuis que vous avez pris les reines de Syllart Records ?
Comme je l’ai dit plus haut, il y a un changement dans la stratégie de communication que je souhaite encore plus dynamique, plus internationale, plus innovante. Cela passe par une vraie présence sur les nouveaux outils de communication de l’internet. Facebook, Instagram, Tweeter , bientôt une belle chaine Youtube pour que les fans de musiques africaines se rendent compte de notre poids et de notre présence. Mais, ce que j’ai initié est avant tout une refondation et une rationalisation de l’énorme catalogue Syllart Records, grâce à la digitalisation de notre catalogue. C’est la principale innovation que j’ai eu à faire et qui conditionne toutes celles que je mettrais en place.

Dakarmusique.com : Votre défunt père Ibrahima Sylla a eu à produire tous les ténors de la musique sénégalaise voire africaine avec notamment Youssou Ndour, Ismaël Lo, Omar Péne, Alpha Blondy, Sékouba Bambino, Koffi Olomidé etc. peut-on avoir une idée de votre nouveau catalogue ?
Pour le moment, je me concentre sur le catalogue déjà existant et les artistes du label. Je n’ai pas encore de nouveaux artistes mais ce n’est pas les idées et les coups de cœurs qui manquent. Chaque chose a son temps.

Dakarmusique.com : sous quels critères sélectionnez-vous vos artistes ?
Le critère du coup de cœur! J’ai aussi la passion de la musique mais la qualité l’emportera toujours sur n’importe quel critère. Je n’ai pas de genre musical préféré, j’ai une culture musicale très diverses donc mon oreille et mon cœur sont ouverts à toutes les diversités des musiques de l’Afrique.

Dakarmusique.com : quelle perception avez-vous de la musique africaine ?
D’abord  j’aime à rappeler qu’il faut dire « les musiques africaines » au pluriel tant elles sont riches de leurs diversités. Je suis une grosse consommatrice et passionnée des musiques africaines que ce soient celles des années 70/80 ou les musiques plus contemporaines ou encore le répertoire classique et traditionnel. Ma perception de ces musiques c’est d’abord qu’elles font partis de mon éducation et qu’elles doivent être portées, valorisées, connues partout dans le monde. Mon rôle c’est un peu d’être leurs ambassadrices (rires). La préservation du patrimoine sonore et musical africain est un enjeu qui me touche très particulièrement. Mais la promotion des jeunes talents pour faire vivre la création musicale du continent m’importe autant.

Dakarmusique.com: avec l’avènement des nouvelles technologies, l’industrie musicale africaine ne se porte plus comme avant, quels sont les défis à relever ?
Je crois que si on doit pointer l’origine du mal cela remonte à la fin des années 1980. Les Cds n’ont jamais pris sur le marché africain. La piraterie a tué les acteurs de l’industrie musicale et les ventes ont chuté, les musiciens ont de plus en plus difficilement été produits et la masse populaire a eu de plus en plus de difficultés pour accéder à la qualité des nouvelles productions. Alors que la cassette avait démocratisé l’essor de la musique populaire moderne, nous n’avons pas, avec le digital, pu remplacer cet âge d’or.  En tant qu’acteur clé en Afrique, il nous faut réfléchir à de nouveaux moyens de consommation de musiques. Investir sur des procédés innovants. Pourquoi ne pas s’adapter simplement à la façon dont les gens écoutent de la musique, sur leurs téléphones, avec des cartes sd, des minis amplis. J’ai quelques pistes après il faut trouver les moyens, l’aide et l’investissement des autorités publiques et des partenaires privés sur places.

Dakarmusique.com : la musique traditionnelle africaine perd de plus en plus sa représentativité sur la scène nationale voire internationale au détriment de la musique dite commerciale, comment la revaloriser ?
Je crois qu’il faut investir et faire vivre tous les genres musicaux. Et ne pas sous-estimer la force et l’influence des musiques dites traditionnelles dans les musiques dites commerciales. Parce que les jeunes musiciens s’inspirent consciemment ou pas du patrimoine musical traditionnel. En tout cas, ce qui est assez fascinant et intéressant c’est l’appétit de la pop internationale pour les musiques africaines.

Dakarmusique.com : pensez-vous que les sonorités africaines peuvent révolutionner l’industrie musicale internationale ?
Je crois que c’est déjà le cas. Les musiques noires ont révolutionné la musique moderne  avec le Jazz avec Miles Davis, la Soul avec James Brown, le Reggae avec Bob Marley, l’Afro-Beat avec Fela Kuti et tous ces héritages musicaux venant des afro-descendants ou d’Africains imprègnent de leur puissance les musiques que chacun écoute aujourd’hui, elles l’ont révolutionnées. Et aujourd’hui, je crois que c’est au tour des musiques authentiquement africaines de se découvrir à l’industrie musicale internationale même si cela a été le cas avec la World Music dont mon père fut un des initiateurs en produisant l’album Soro qui révolutionna les musiques africaines à cette époque.

Dakarmusique.com : le label Syllart records envisage t’il d’ouvrir un siège dans une capitale africaine pour être plus accessible ?
Syllart Records ambitionne et a toujours ambitionné pour être le plus présent en Afrique. Nous avons un très vaste réseau de collaborateurs partout en Afrique, même en Afrique anglophone. Nous n’avons pas a proprement parler de siège mais si le label a pu dénicher autant d’artistes qui sont devenues les grandes stars des musiques africaines c’est parce que notre force a été ces collaborateurs. Je tiens ici à énoncer le nom de mes tontons Alain Jossé et Sanou Mbaye, deux amis et collaborateurs de mon père qui ont fait le relais pour dénicher ici à Dakar.

Dakarmusique.com : dans le cadre de la promotion de vos artistes y a-t-il des concerts en vue en Afrique ?
Oui bien sur. Je crois qu’il est temps pour Africando de faire un concert au pays qui l’a enfanté. Un concert à Dakar du légendaire groupe est en préparation.

Dakarmusique.com : dans le court terme, quels sont les projets de Syllart Records?
Le court terme, il y a la sortie et la promotion de la compilation du célèbre groupe malien des années 70, Les Ambassadeurs du Motel de Bamako (Salif Keita, Kanté Manfila, Amadou Bakayoko d’Amadou et Mariam), la mise en place d’une tournée internationale d’Africando, la sortie du dvd musical du chanteur guinéen Sékouba Bambino et un projet hommage pour les un an de la disparition de mon père Ibrahima Sylla et j’en passe. Rires

Dakarmusique.com : Binetou écoute t’elle la musique sénégalaise ? Si oui parlez nous un peu de vos coups de cœur ?
Oui j’écoute beaucoup de musiques sénégalaises, je suis très souvent à Dakar et attentive à la scène musicale sénégalaise. Je dois dire que j’ai un coup de cœur pour Waly Seck et ce n’est pas parce que nous produisons son Papa Thione Seck et il y a aussi la chanteuse Adiouza qui est très talentueuse.

Dakarmusique.com : quelle est la place de la musique sénégalaise dans le label Syllart ?
C’est une place centrale. Ibrahima Sylla avait sorti une superbe compilation sur les jeunes talents sénégalais fin 2012. Il tenait à faire cette compilation qui comprend des morceaux de Waly Seck, Frères Guissé , Queen Biz , Adiouza ; un mélange des genres mais surtout ses choix qui, selon lui, faisait la nouvelle scène sénégalaise. J’ai d’ailleurs eu à travailler avec lui sur cette compilation. La musique sénégalaise a une place plus que centrale dans le catalogue. D’ailleurs, je lance un appel à tous les chanteurs, musiciens sénégalais envoyez nous vos maquettes, vos mp3 pour qu’on les écoute, on a besoin de sons neufs et frais.

Dakarmusique.com : quels souvenirs gardez-vous du Sénégal ?
Le Sénégal évoque pour moi les vacances familiales, ma famille paternelle, la plage, les bons plats, le sabaar, le mbalax. Bref, tout ce que j’aime. Rires

Dakarmusique.com : peut-on savoir votre plat sénégalais préféré ?
Le Tieb bou wekhe que cuisine ma maman qui est la meilleure des cuisinières malienne mais qui bat les sénégalaises ! Rires

Dakarmusique.com : un message à l’endroit des artistes africains !
Mon message aux artistes africains est le suivant : vous pourrez toujours compter sur le label Syllart Records pour défendre les musiques africaines et vous promouvoir !

Dakarmusique.com : mot pour la fin !
Je vous remercie pour cette interview et je salue tous les lecteurs de Dakar Musique. Merci encore. Vous pouvez retrouver toutes nos actualités sur la page facebook Syllart Records et sur Instagram @SyllartRecords.

Abdoulaye Diaw, Dakar Musique
[email protected]

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